Par FAL :

On ne peut qu’être d’accord avec Christophe Lemaire lorsqu’il déclare dans sa note sur « Rambo V » que l’acte III du film n’est autre qu’un épisode de « Tom & Jerry », mais il convient de prendre en compte ce qui ressort de certains commentaires que cette note a suscités et de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ce dessin animé « live » n’est pas vraiment drôle. Inutile de traiter Stallone de demeuré – nous savons bien que cette accusation est ridicule. Dénoncer alors l’ineptie de la mise en scène ? Peut-être… Mais est-ce si simple ? N’y a-t-il pas volonté délibérée de frustrer le spectateur ? Car, oui, toutes les exécutions des méchants sont montées si « cut » que, la plupart du temps, nous ne voyons pas bien – d’autant plus que tout se passe dans l’obscurité – comment fonctionnent les pièges tendus par Rambo. C’est cela qui serait drôle, ou sadique, comme on voudra – mais, en l’occurrence, c’est la même chose –, or c’est cela dont on nous prive. Nous est offert le résultat. Ce qui devrait suffire à nous remplir d’aise, mais est, au fond, le signe d’une impuissance : cette rapidité « d’exécution » est celle qu’on peut trouver uniquement dans un rêve. Dans la réalité, ce serait une tout autre affaire.
Car il faut aussi dire un mot du second acte de « Rambo V », qui, lui, n’est assurément pas drôle du tout. Rambo déboule dans le bordel mexicain où sa nièce adoptive est retenue prisonnière, expédie ad patres la totalité des tenanciers et des clients (ce qui devrait réjouir le mouvement #MeToo), mais, lorsqu’il dit aux filles qu’elles sont libres et qu’elles peuvent s’enfuir, aucune d’elles ne le fait. Parce qu’elles savent qu’il n’a pas éliminé tous les méchants et que ceux qui restent ne manqueront pas de les tuer si elles cherchent à s’échapper. Ou, pire encore, parce que, comme le montre si bien La Fontaine dans sa fable « Le Loup et le Chien », l’esclave qui a été longtemps enchaîné reste esclave dans son esprit même quand on le débarrasse de ses chaînes.
Un brin d’histoire ici s’impose. Le sous-titre de « Rambo V », « Last Blood », fait directement écho au titre original du premier « Rambo », qui n’était pas « Rambo », mais « First Blood », et « First Blood » s’inspirait d’un roman homonyme de l’écrivain canadien David Morrell. Au départ, « First Blood » était une nouvelle de quelques pages, composée par Morrell alors qu’il suivait des cours de composition littéraire dans une université américaine. Lorsqu’il la soumet à son writing instructor, celui-ci lui dit qu’il retrouve dans son histoire le ton d’un roman publié en mai 1939 par le Britannique Geoffrey Household, « Rogue Male ». En 1939, ou plutôt, qu’on en juge, dès 1939. Le héros de « Rogue Male » est un Anglais qui décide de venger la mort de la femme qu’il aimait (une espionne anglaise exécutée par les nazis) en allant abattre Hitler – celui-ci n’est jamais désigné nommément, mais aucun doute n’est permis – dans l’un de ses repaires. Il est capturé par les nazis au moment précis où il s’apprête à appuyer sur la détente, puis torturé et emprisonné. Par miracle, il parvient à s’évader et à rentrer en Angleterre, mais les nazis ne le lâchent pas pour autant. Il creuse alors une véritable tanière – inspiration plus que probable des galeries souterraines de l’acte III de « Rambo V » – où il se dissimule, et, quand le nazi qui le poursuit tue le chat qui était son seul compagnon et jette dans sa tanière le cadavre de l’animal pour lui montrer ce qui l’attend, il extrait les boyaux du corps du félin pour fabriquer une espèce d’arbalète grâce à laquelle il abat son adversaire. Ce roman a donné lieu à deux films, « Man Hunt » (« Chasse à l’homme ») de Fritz Lang, en 1941, et, en 1976, « Rogue Male », un téléfilm de Clive Donner, avec Peter O’Toole. Le Blu-ray anglais de ce téléfilm (il n’existe pas d’édition française) inclut une brochure dans laquelle David Morrell raconte en détail comment la lecture de ce livre de Household l’avait incité à développer sa nouvelle pour en faire un roman.
Seulement, répétons-le, le livre de Household a été publié dès 1939, mais nous savons bien que la « victoire » de son héros n’a en aucune manière empêché la Seconde Guerre mondiale. Parce qu’on n’en a jamais fini avec le mal et qu’il est comme une hydre dont les têtes repoussent l’une après l’autre. (On a à juste titre taxé « Rambo V » de racisme, puisque tous les méchants sont mexicains, et le fait que Rambo soit censé parler couramment espagnol ne suffit pas à le dédouaner, mais peut-être fallait-il introduire dans cette histoire la présence d’une frontière, précisément pour montrer que le mal se joue des frontières…)
Voilà pourquoi il n’est pas interdit de voir dans la démesure grotesque de l’acte III de « Rambo V » un baroud d’honneur désespéré. Ou, redisons-le, un aveu d’impuissance. « Last Blood », oui, « last » parce qu’on voit mal comment Stallone – et c’est bien ce pour quoi il enrage – pourrait à son âge, même si ses adieux ont souvent été des adieux à la Jacques Brel, toujours recommencés donc, ajouter un sixième volet aux aventures de son héros.
Mais James Bond will return.
FAL
(Frédéric Albert Levy)
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