Loup y es-tu ?

Par FAL : Il est très difficile de porter un jugement « objectif » sur un film fantastique japonais, dans la mesure où – pour employer un abominable sabir journalistique – le « curseur » marquant la frontière entre le naturel et le surnaturel n’est pas le même au Japon et en Occident. L’importance de la pensée animiste dans l’Empire du Soleil levant fait qu’on y admet beaucoup plus spontanément la présence d’esprits et de fantômes dans une histoire ayant officiellement pour cadre la vie ordinaire.
Cela dit, dans le cas d’Inunaki : Le Village oublié (disponible en VOD dès cette semaine et en B-r/DVD la semaine prochaine), il n’est pas interdit de penser que l’écart est moindre que d’habitude, au moins pour trois raisons. La première, c’est que le réalisateur de ce film, Takashi Shimizu, s’était lui-même chargé de réaliser, en 2004, le remake américain du premier épisode de sa série désormais célèbre The Grudge (Sarah Michelle Gellar, ex-Buffy, était l’héroïne de cette version made in USA). La seconde, c’est que la trame principale de l’histoire qui nous est contée n’est pas sans rappeler – et peu importe si cette ressemblance est fortuite – la vieille légende bretonne de la ville d’Is (ou Ys), qu’Ernest Renan résumait ainsi dans la préface de ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse :
Une des légendes les plus répandues en Bretagne est celle d’une prétendue ville d’Is, qui, à une époque inconnue, aurait été engloutie par la mer. On montre, à divers endroits de la côte, l’emplacement de cette cité fabuleuse, et les pêcheurs vous en font d’étranges récits. Les jours de tempête, assurent-ils, on voit, dans le creux des vagues, le sommet des flèches de ses églises ; les jours de calme, on entend monter de l’abîme le son de ses cloches, modulant l’hymne du jour. Il me semble souvent que j’ai au fond du cœur une ville d’Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n’entendent plus. Parfois je m’arrête pour prêter l’oreille à ces tremblantes vibrations, qui me paraissent venir de profondeurs infinies, comme des voix d’un autre monde. Aux approches de la vieillesse surtout, j’ai pris plaisir, pendant le repos de l’été, à recueillir ces bruits lointains d’une Atlantide disparue.
Autre ingrédient occidental : le titre international, autrement dit anglais, d’Inunaki est Howling Village. Comment ne pas penser au film de Joe Dante The Howling (Hurlements), sorti au début des années quatre-vingt, mais toujours présent dans les mémoires ? On croise d’ailleurs ici des chiens-loups, ou des loups tout court, au cours de l’enquête menée par une héroïne doublement psy, puisqu’elle exerce le métier de psychiatre tout en étant dotée de pouvoirs paranormaux. Et cette enquête, comme toute enquête véritable, est une enquête sur soi-même : contrairement à l’héroïne de Grave, dont on voudrait nous faire croire qu’elle a pu vivre pendant vingt ans au cœur d’une famille de cannibales sans jamais se douter de quoi que ce soit, celle du Village oublié sent bien qu’il y a dans l’histoire de sa famille quelque chose de chelou (de che-loup ?).
Inutile de nier qu’il y a dans ce film quelques images, voire quelques séquences saisissantes. Mais il en est du cinéma fantastique comme du cinéma comique : l’essentiel est dans le timing. Trop de séquences comiques finissent par ne plus faire rire du tout. Trop de séquences effrayantes finissent par laisser de marbre. Or, comme l’a dit fort justement un commentateur, on a vite l’impression, face à ce Village oublié, de se trouver devant un catalogue d’horror effects : une pincée de found footage pour commencer, une brochette de fantômes comme plat principal, quelques loups carnassiers pour assaisonner le tout, et bien sûr beaucoup de bruits très inquiétants. Inutile d’ajouter que, le plus clair du temps, ou, plus exactement, le plus sombre du temps, on ne voit pas grand-chose – parce que c’est moins cher ou parce que la CGT ne cesse de couper l’électricité toutes les trois minutes. Ce recours systématique à l’obscurité dans les séries B d’épouvante commence à devenir pénible.
Quant au twist final, contentons-nous de dire, pour tous ceux que les spoilers incommodent, qu’il a un très fort goût de Réincarnations. Non, non, pas le Réincarnation du même Takashi Shimizu,mais Réincarnations au pluriel, alias Dead and Buried, de Gary Sherman, film sorti – comme c’est étrangement bizarre ! – en 1981. La même année que The Howling…
Frédéric Albert Levy
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