Spielberg Politique

Par Claude Monnier : A l’heure où nos démocraties, en Amérique et en Europe, courent le risque du populisme (voir l’invasion violente du Capitole par des hordes d’extrême-droite pro-Trump le 6 janvier dernier, à Washington), il est bon de se pencher, concernant notre domaine, sur un grand cinéaste politique comme Spielberg. Spielberg politique ? Ce n’est certes pas le premier terme qui vient à l’esprit des gens lorsqu’ils pensent au réalisateur de Jurassic Park et d’Indiana Jones. Toutefois, en observant son parcours sur les quarante dernières années, le mot n’est pas déplacé. Débutant sa carrière dans les années soixante-dix comme nouveau maître du suspense (Duel, Les Dents de la mer) et comme créateur de « fééries » (Rencontres du troisième type, 1941), Spielberg fait une première mue humaniste avec E.T. (1982) et surtout avec La Couleur pourpre (1985). Puis, à partir d’Empire du soleil (1987), cet humanisme se double d’une passion pour l’Histoire et d’un souci évident pour le travail de mémoire : ce seront La liste de Schindler, Amistad et Il faut sauver le soldat Ryan dans les années quatre-vingt-dix. Mais c’est à partir du traumatisme du 11 septembre 2001 que Spielberg fait véritablement sa troisième mue, celle de cinéaste politique, on pourrait dire de cinéaste « coup de poing ». Depuis trente ans, et tout en conservant son génie cinématographique (observez bien l’incroyable mise en scène de Cheval de guerre et dites-moi si vous voyez ça dans les séries télé soi-disant brillantes !), le cinéaste s’interroge systématiquement sur la dérive autoritaire des démocraties, sur l’injustice sociale et sur la violence : le tout sécuritaire poussé jusqu’à l’absurde dans Minority Report, la privation arbitraire de liberté dans Terminal, le génocide dans La Guerre des mondes, la loi du talion et la violence d’Etat dans Munich, la persécution des innocents dans Cheval de guerre, la privation des droits de l’accusé dans Le Pont des espions, l’abus de pouvoir et l’entrave à la presse dans Pentagon Papers, la destruction du tissu social par le virtuel dans Ready Player One. Dans toute cette série, Lincoln, sur la question de la liberté et de l’égalité entre les hommes, et sur le pouvoir du Verbe, de la Pensée, sur la force brute, est le plus beau de tous. Beaucoup le taxent d’académique et d’ampoulé. Faux. Ou alors dans le sens où Barry Lyndon est « académique » et « ampoulé » : parce qu’il nous plonge, en tant que machine à remonter le temps, dans l’esprit et les codes visuels de l’époque décrite. Plus peut-être que A.I., Lincoln est en effet le film le plus kubrickien de Spielberg : d’une rigueur d’ascète et d’une maniaquerie qui touche au maladif – on connaissait depuis longtemps, dans certains films, l’usage de vrais costumes ou de vrais décors d’époque ; Spielberg va plus loin en inventant le vrai son d’époque en enregistrant, pour sa bande-son, les véritables horloges qu’a entendu Abraham Lincoln à la Maison Blanche !

Je dis souvent, en plaisantant à moitié (à moitié seulement), que le plus gros problème de notre époque, c’est que Lincoln est sorti en 2013 et que personne n’en parle déjà plus ! Oui, j’ose le dire : notre époque, et c’est symptomatique, est incapable de voir que Lincoln est le plus grand film américain de ces dix dernières années. Pourquoi symptomatique ? Parce que cela relève à la fois d’un manque d’amour pour le grand cinéma classique, d’un manque d’amour pour l’Histoire et d’un manque d’amour pour la chose démocratique. Chers cinéphiles et chers programmateurs télé, vous pourriez au moins respecter Lincoln comme un classique et le célébrer régulièrement, comme on a pu le faire avec Lawrence d’Arabie, Amadeus, Les Incorruptibles, Le dernier Empereur. Mais non… Au fond, et tout est lié, le vrai problème de notre temps, c’est le manque de respect mutuel, le manque d’intérêt pour l’autre et donc, corollaire, le manque d’amour pour nos origines, pour l’Histoire. De là ce sentiment terrible : on ne sait plus pourquoi on est ensemble.

Voir et revoir les œuvres de Spielberg, cinéaste humaniste et engagé, voir et revoir, ne serait-ce que pour la dernière décennie écoulée, Lincoln, Pentagon Papers, Le Pont des espions ou Cheval de guerre est un bon moyen de nous le rappeler.

Claude Monnier

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