
Par Claude Monnier : Bénéficiant de la présence d’acteurs chevronnés comme Ethan Hawke et Kyle MacLachlan, Tesla aurait dû sortir dans les salles l’année dernière mais madame Covid, fort capricieuse, en a décidé autrement. Le distributeur Metropolitan Filmexport nous donne l’occasion de découvrir le film at home et par là même de découvrir son metteur en scène, l’Américain Michael Almereyda. Michael Almereyda ? Qui c’est, celui-là ? C’est un cinéaste américain né en 1960, qui a déjà une longue carrière… et qui est pourtant quasiment inconnu. Pourquoi ? Parce qu’il a préféré rester indépendant plutôt que de céder aux sirènes d’Hollywood. Il a toutefois participé, en tant que scénariste, à une célèbre série B des années quatre-vingt, Cherry 2000, avec Melanie Griffith et il a, paraît-il, travaillé officieusement sur le script de Total Recall. Il s’est également essayé à la mise en scène télévisée avec un épisode de la célèbre série westernienne Deadwood. Toutefois, si l’on regarde sa filmographie, on voit qu’il préfère depuis toujours tourner en indépendant, dans un style expérimental et brechtien (pellicule et/ou caméra hors-normes, décor volontairement artificiel), s’entourant d’une même famille d’acteurs et pas des moindres (Ethan Hawke, Kyle MacLachlan, John Leguizamo, Lois Smith), nourrissant une passion particulière pour le documentaire, les adaptations modernes de Shakespeare (Hamlet en 2000, Cymbeline en 2013) et la science (Experimenter en 2015, sur les recherches controversées du psychologue Stanley Milgram sur l’obéissance à l’autorité). Tesla est une manière de synthèse de toutes ses préoccupations même si, paradoxalement, c’est le premier script qu’il a développé dans sa jeunesse, tant ce célèbre génie scientifique le fascinait. En somme, ce qui aurait dû être la première expérience cinématographique de Michael Almereyda est devenue sa dernière en date, profitant au passage de tout son parcours sur les vingt dernières années. Ce n’est pas plus mal.

Tesla raconte de manière éclatée, poétique et impressionniste la vie de Nikola Tesla, le célèbre inventeur de la fin du 19e siècle-début 20e. Ce génie de la mécanique et de l’électricité, visionnaire à ses heures (il pensait déjà, en son temps, à la connexion sans fil !) est connu pour sa rivalité malheureuse avec Thomas Edison, pour lequel d’ailleurs il a travaillé un temps. Pourquoi malheureuse ? Parce que Tesla n’avait pas le sens des affaires, contrairement à Edison. Seul l’intéressait le bien que pourraient apporter ses inventions à l’humanité. Mais il faut dire que Tesla, contrairement au populaire Edison, avait un tempérament proche de « l’autisme », constamment tourné en lui-même, dans ses pensées, peu aimable, ce qui ne l’a pas aidé auprès des investisseurs. Ethan Hawke, dans le rôle-titre, rend superbement cet aspect, toujours préoccupé, toujours grave, incapable de rire ou même de sourire, triste, hautain, comme si l’homme était resté toute sa vie cet enfant surdoué, coupé des autres, et trop choyé par sa mère. Paradoxe qui n’en est pas un : le rêve de Tesla était de connecter instantanément tous les hommes de la planète mais l’homme lui-même était incapable de se connecter personnellement à qui que ce soit. Sans doute le souhaitait-il désespérément. La mise en scène expérimentale d’Almereyda (chronologie éclatée, fonds théâtraux, éclairages étranges et sombres, anachronismes), a pour but de nous mettre dans la tête de Tesla, de voir le monde tel que, sans doute, il le voyait : détaché parce qu’il vivait déjà un pied dans le futur, sombre parce qu’il était régulièrement déçu par ses contemporains. Tesla comprenait la Nature mais ne comprenait pas les hommes et leur désir de domination, leur volonté de pouvoir. Cette volonté est évidemment incarnée ici par Edison. MacLachlan, qui jouait Claudius dans le Hamlet d’Amereyda, reprend remarquablement, à travers Edison, ce rôle de « Père » castrateur prêt à avaler ses propres « enfants ». Et il est évident que pour Almereyda, il y a du Hamlet dans l’histoire de Tesla : même comportement illogique du « héros » avec ses congénères, même sensation de rêve éveillé dans un royaume de fausseté, espace à la fois immense et fermé, même attirance-répulsion pour la Femme/Mère, même amour-haine du Père, même moralisme aigu qui met le personnage en porte-à-faux avec le reste de l’humanité, même folie qui guette celui qui est trop conscient. Même présence des fantômes.
Claude Monnier

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