
Par Claude Monnier : Le corps mort et usé de Bertrand Tavernier vient d’être aspiré par l’Abîme mais son âme, obstinée, refusant de se rendre, est toujours là, parmi nous, et le restera pour longtemps. Son âme continuera de communiquer à travers ses films et ses innombrables textes de cinéma ; des textes toujours passionnés et gourmands, à l’oral comme à l’écrit.
Parfois, la meilleure manière de rendre hommage à un grand monsieur est de décrire ce qu’il a fait pour nous, subjectivement, et non objectivement. Permettez-moi donc de « rentrer en moi-même » et de revoir mes « contacts » avec cet homme et son œuvre.
Ainsi, je me revois enfant, devant la télé, au début des années quatre-vingt, éberlué par l’amertume et la bouffonnerie de Coup de torchon, l’une de mes premières prises de conscience de la bêtise humaine et du racisme.
Je me revois adolescent, lisant et relisant Starfix dans ma chambre et ne comprenant pas comment un cinéaste français possède assez de ressources et de diversité pour faire, tantôt un film « de vieux » (Un Dimanche à la campagne), tantôt un film romantique et stylisé sur le Jazz (Autour de minuit), tantôt un film ultra réaliste sur le Moyen Age (La Passion Béatrice). Seul point commun, en dehors de la fascination historienne pour le passé : la passion exclusive justement, l’obstination maladive des personnages. Et peut-être une sourde mélancolie, une sourde douleur, présentes aussi dans tous les autres films, précédents ou suivants…
Je me revois jeune adulte, au début des années quatre-vingt-dix, à la Bibliothèque municipale, consultant sans arrêt 50 ans de cinéma américain, ouvrage énorme et trop cher pour moi, et jubilant devant les longs articles laudatifs de Tavernier et son compère Coursodon (disparu lui aussi récemment) sur Brian De Palma et Ridley Scott, deux de mes cinéastes fétiches. En quelque sorte, une confirmation et une légitimation de ce qu’avait fait Starfix, revue qui venait hélas de disparaître. Evidemment, à la même époque et comme tous les cinéphiles, j’étais aussi un peu « jaloux », mais surtout admiratif, de voir comment Tavernier avait pu faire « ami-ami », dans les années soixante, avec John Ford, Henry Hathaway ou Anthony Mann, les faisant parler comme nul autre avant lui (cet ouvrage d’entretiens, Amis américains, étant également trop cher pour moi à l’époque, je le lisais « goûte à goûte », pour ainsi dire, encore et toujours en Bibliothèque municipale, ce paradis sur Terre).
Parallèlement, durant cette même décennie, je me revois « dépassé » par la série de grands films sociaux et engagés (L.627, L’Appât, Ça commence aujourd’hui), entrecoupée, ô affolante virtuosité, par le franc éclat de rire de La Fille de d’Artagnan.
Enfin, sur les dernières années, je me revois prendre une véritable leçon de cinéphilie, et de transmission acharnée, face aux bonus de la collection DVD Sidonis Calysta (mon bonus préféré étant son intervention amusée sur Les Deux cavaliers de John Ford). Face aussi à son superbe Blog, qui laisse aujourd’hui de nombreux orphelins. Quel étrange chose que ce blog à l’arrêt, si actif il y a quelques semaines encore, Tavernier, malade, prenant encore le temps de polémiquer avec quelques cinéphiles étroits d’esprit.
A chaque fois que je consulte ce blog, je me pose cette question : mais comment fait-il ? (Restons au présent) Comment un homme peut-il voir et commenter autant de films, de livres de cinéma, de romans, tout en préparant ses projets de films et en répondant personnellement à tous ses lecteurs ?
La réponse est sans doute dans son acharnement à vivre sa passion du cinéma et du livre. L’acharnement à transmettre coûte que coûte, avec pour moteur la foi en l’autre.
Claude Monnier
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