Jerry Goldsmith versus John Williams : le combat des titans

Par Claude Monnier : Comme les Sith, les génies vont souvent par deux, aussi difficiles à départager qu’une pomme et une orange. Et l’on observe ce phénomène à chaque époque : De Vinci ou Michel-Ange ? Voltaire ou Rousseau ? Balzac ou Hugo ? Manet ou Monet ? Ravel ou Debussy ? Beatles ou Rolling Stones ? Coppola ou Scorsese ? Max Pécas ou Philippe Clair ? Cameron ou McTiernan ?… Qu’ils soient amis ou non dans la vie, peu importe : ce qui compte, c’est qu’au stade de la création, cette mise en présence de deux génies crée une rivalité stimulante, une concurrence pour « le prix » : la postérité. On le voit, le Kurgan et Highlander ne sont pas loin, mais ici, et c’est cela qui est beau, les deux sont gagnants, ainsi que le public !

Je voudrais donc évoquer le duo Williams/Goldsmith, le confinement (ou semi-confinement) ayant ceci de bon qu’on prend plus de temps pour écouter les vieux albums de sa collection. Comme le disait Spielberg dans son texte d’introduction à l’album de Poltergeist, en 1982 : « John Williams et Jerry Goldsmith : ces deux hommes dominent l’arène de la grande musique de film depuis presque vingt ans. »

A l’heure où la musique hollywoodienne est victime de délais trop courts, de bandes-sonores trop fortes et de producteurs trop lâches, il est bon de se pencher sur cet âge d’or où se « disputaient », chaque année, ces deux géants. Tous deux naissent à la même époque (Goldsmith en 1929, Williams en 1932) ; toutefois, Goldsmith perce plus tôt que Williams, ce dernier se cherchant encore un peu dans les années soixante (il a même été un moment le pianiste de Goldsmith), tandis que sur les écrans règne déjà avec audace le compositeur de Freud, du Crépuscule des aigles, de La Canonnière du Yangtsé, de La Planète des singes, de Patton et de Chinatown. Puis, avec Jaws en 1975, Williams fait une entrée fracassante dans le génie pur. Malgré ses efforts, Goldsmith n’avait pas vraiment réussi à imposer la symphonie dans les habitudes d’achat du grand public, la période 1965-75 étant plutôt propice aux B.O. « charts ». Mais les albums de Jaws et surtout de Star Wars deviennent à leur tour de véritables « tubes » qui vont rebattre les cartes, remettant au goût du jour la symphonie hollywoodienne, héritière de Korngold, Newman et Rozsa, bénéficiant qui plus est d’un nouveau système sonore multipiste mettant en valeur l’orchestration : le Dolby Stéréo. Disons-le : Goldsmith a dû se sentir « menacé » par les compositions de Jaws et de Star Wars, d’autant qu’il a failli être à la place de Williams : Spielberg était un de ses grands fans et aurait pu le choisir pour Sugarland Express, et donc poursuivre naturellement avec Jaws, et ainsi conseiller Goldsmith à Lucas pour Star Wars, comme il l’a fait pour Williams.

A partir de cette époque,  tout en continuant à avoir son style, on voit que Goldsmith cherche à se positionner en fonction de ce que fait Williams, intervenant après, et souvent dans des films malheureusement moins réussis, sur le plan artistique et/ou commercial : ainsi quand l’un fait Star Wars, l’autre fait Star Trek, quand l’un fait Superman (le premier choix de Donner était d’ailleurs Goldsmith, son partenaire pour la Malédiction), l’autre fait Supergirl, quand l’un fait Les Aventuriers de l’Arche perdue, l’autre fait Allan Quatermain (hum…), quand l’un fait E.T., l’autre fait Explorers, quand l’un fait les films de Spielberg, l’autre se « contente » de ses productions (Poltergeist, Twilight Zone, Gremlins 1 et 2, L’Aventure intérieure…).

Goldsmith a peut-être eu tort de vouloir concurrencer Williams sur un terrain où il est imbattable : la symphonie triomphante et innocente à la Korngold. Goldsmith est en effet d’un tempérament plus expérimentateur, comme Bernard Herrmann, et là où il dame le pion à Williams, c’est dans l’atonal, l’étrange, la frénésie, les chœurs pervers ou éthérés, l’exotisme sud-américain et/ou westernien, l’action sanglante, le guerrier, la fantaisie et la peur : réécoutez la trilogie géniale, musicalement s’entend, de la Malédiction (le troisième épisode, assez médiocre au demeurant, donnant carrément lieu à la plus grande symphonie composée pour un film, toutes époques confondues !), Alien, Brisby et le secret de NIMH, la trilogie Rambo, Under Fire, Legend, Total Recall, Basic Instinct, Mulan, Le 13e Guerrier… En somme, Goldsmith n’est jamais meilleur que lorsqu’il s’éloigne de Williams.

Evidemment, dans cette rivalité, nous autres amateurs de musique de films étions gagnants à tous les coups et je relis souvent avec délectation les longues chroniques de Bertrand Borie dans L’Ecran Fantastique (et celles de Cédric Delélée qui le remplaça en 1989), où étaient analysés, souvent côte à côte, à égalité, les deux titans. Starfix, pour sa part, pencha nettement pour Goldsmith : dans sa brève mais très éloquente rubrique sur les « disques du mois », Christophe Gans mettait toujours à l’honneur les compositions de Goldsmith, l’intégrant pleinement à la politique des auteurs de la revue, tel un Verhoeven ou un Carpenter : en l’occurrence, Goldsmith était encensé comme chantre de la monstruosité (prose lyrique de Gans sur La Malédiction finale, Legend ou Link) et de l’héroïsme viril (prose gourmande sur Rambo 2 et Extreme Prejudice). Il est évident que, pour les gens de ma génération, ce type de rubrique a grandement participé au culte autour de Goldsmith.


Peu sensible à ce culte, et n’aimant guère le cinéma qui est pour elle un ennemi redoutable, la Grande Faucheuse vint impitoyablement emporter, en 2004, le compositeur de The Omen, laissant Williams sans concurrent jusqu’à nos jours, devenu par la force des choses un roi solitaire, l’unique survivant dans l’art presque éteint de la musique symphonique classique. 

Claude Monnier

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