
Par Claude Monnier : Armé du vaccin anti-Covid, le documentariste Josh Grossberg va se lancer en septembre 2021 dans une expédition au fin fond du Brésil. L’objet de sa quête n’est pas une citée disparue ou une tribu mythique mais… une simple boîte. Quelle boîte ? Celle contenant les bobines de ce qui est peut-être le plus beau de l’histoire du cinéma : La Splendeur des Amberson director’s cut.
Flash-back : en 1942, Orson Welles réalise son deuxième film après Citizen Kane, une adaptation du roman de Booth Tarkington, The Magnificent Ambersons, narrant la gloire et la décadence d’une famille de la haute bourgeoisie à Indianapolis, entre 1870 et 1910. Infatigable expérimentateur, Welles veut prendre le contrepied de Citizen Kane au niveau du langage cinématographique. Plutôt que le « cubisme » et le morcellement, il recherche cette fois « l’impressionnisme » et l’écoulement. Tout se passe merveilleusement jusqu’à la post-production : à la demande de Washington qui souhaite renforcer ses liens culturels et diplomatiques avec le Brésil (nous sommes en pleine Seconde guerre mondiale), le progressiste Welles, soutien de Roosevelt, doit partir en urgence pour Rio afin de réaliser un documentaire sur la culture locale et notamment le carnaval qui bat son plein. Le director’s cut est heureusement presque terminé et Welles part confiant, donnant des instructions par télégrammes au monteur Robert Wise…

Puis la RKO décide d’organiser une projection-test en l’absence du cinéaste. Et là c’est la catastrophe : le public choisi est celui du samedi soir (littéralement) et la majorité des spectateurs, venus se détendre devant une comédie musicale, conspue violemment cette œuvre pessimiste, au style précieux et romanesque. Seuls quelques spectateurs indiquent sur le questionnaire distribué à la fin que « c’est le plus beau film jamais fait », « une véritable œuvre d’art » (c’est aussi ce que pense Wise). La RKO n’a cure de ces opinions cinéphiles. Affolée par la réaction majoritaire, elle ordonne à Wise de réduire drastiquement la durée du film (il doit couper 45 minutes pour tomber à 1h25) et demande aux assistants de réaliser une fin plus optimiste. Welles, tenu au courant, et évidemment affolé, tente de renverser la vapeur : il travaille de son côté sur une version remaniée (Wise lui a fait parvenir les bobines de la version complète par bateau, avec le score intégral de Bernard Herrmann) et demande au monteur de suivre précisément ses consignes. Mais un changement de régime à RKO (le président George Schaefer, soutien de Welles, est remplacé) entérine la décision de sacrifier les Amberson.
Retour au présent : Grossberg pense que la version de travail de Welles, qui n’est pas le négatif original mais un double, est encore quelque part au Brésil, dans les mains de quelque collectionneur de vieilles bobines qui possèderait ce trésor sans le savoir (c’est déjà arrivé dans le passé, comme pour la version intégrale de Metropolis, retrouvée par hasard).
En fait, Grossberg est à la recherche d’un Graal par essence inaccessible : dans le meilleur des cas, les bobines risquent d’être fortement détériorées par le taux d’humidité local, et donc irréparables malgré nos techniques numériques ultra performantes. Mais qui sait, après tout ?… Il est beau de rêver et la valeur du Graal, on le sait, réside davantage dans la quête que dans la découverte.
Le plus ironique, le plus troublant aussi, est que, comme le Graal, La Splendeur des Amberson director’s cut est peut-être depuis le départ… à proximité de l’enquêteur. En effet, Grossberg se fie aux différentes recherches biographiques sur Welles pour enquêter au Brésil mais il semble occulter un tout petit passage de la célèbre biographie de Barbara Leaming (Orson Welles, Barbara Leaming, Ramsay Poche, p. 259), qui affirme que Selznick, grand admirateur de Citizen Kane et de Welles, voulait que l’on fasse une copie des Amberson pour le Musée d’art moderne de New York, ce qui suggère que le célèbre mogul a eu accès à une copie de la version intégrale en projection privée et qu’il l’a adorée. De là à demander à la garder pour lui, il n’y a qu’un pas.
La Splendeur des Amberson director’s cut est donc peut-être quelque part dans les « stocks » de Selznick, partagés désormais entre Warner et Disney. Mais si cette hypothèse vous semble tirée par les cheveux, il en est une bien plus probable par sa logique même : si Wise a tant admiré la version intégrale sur laquelle il travaillait, s’il a pu envoyer une copie à Welles, pourquoi n’aurait-il pas pu faire une autre copie de sauvegarde, voyant approcher la confiscation de la RKO ?…
Ainsi, il est fort possible que le Graal des cinéphiles se trouve tout simplement dans un entrepôt modeste de Los Angeles. Et, tel le Thomson de Citizen Kane, Grossberg est allé chercher bien loin le Rosebud qu’il avait sous les yeux depuis le début…
Claude Monnier
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