
par FAL : Il y a longtemps que la bande dessinée s’est emparée de comédiens pour leur faire vivre d’autres aventures que celles qu’ils vivaient sur l’écran. Charlot, Laurel et Hardy, Jerry Lewis, Woody Allen ont été les héros de publications régulières, au même titre que Bibi Fricotin ou les Pieds Nickelés.
Mais depuis quelque temps, les choses ont changé. Jusque-là en effet, tout restait dans le domaine de la fiction. Désormais, une bande dessinée sur Chaplin n’entend pas tant mettre en scène Charlot que rendre compte de la vie de Chaplin lui-même. En d’autres termes, la bande dessinée – devenue en l’occurrence « roman graphique » du fait de l’épaisseur des volumes – a emprunté au cinéma le genre du biopic. L’opération peut sembler parfois un peu gratuite, mais elle convient à merveille pour Jayne Mansfield, ce clone de Marilyn Monroe qui, à bien des égards, semblait tout droit sorti d’une bande dessinée.
Cependant, l’intérêt de Sweet Jayne Mansfield, écrit par Jean-Michel Dupont (ancien rédacteur de Starfix, auteur de la rubrique sur les affiches La Colonne à Maurice) et dessiné par Roberto Baldazzini, est de rappeler que ce clone était beaucoup plus, beaucoup mieux qu’un clone et que l’on avait aussi affaire avec elle à une véritable comédienne. Les cinéphiles savent bien que, si la carrière cinématographique de Jayne Mansfield n’est certes pas comparable à celle de Marilyn Monroe, elle n’en inclut pas moins quelques comédies mémorables. On ne peut qu’espérer que cette biographie en images – qui est aussi une évocation de l’Hollywood des années cinquante – incitera des éditeurs de Blu-ray à ressortir La Blonde et moi ou La Blonde et le shérif.
Frédéric Albert Lévy

Entretien avec Jean-Michel Dupont
Elle Jayne, vous Tarzan ?
Pas vraiment. Bien sûr, je connaissais déjà un peu le personnage de Jayne Mansfield et j’avais vu l’essentiel de sa filmographie, mais je ne lui vouais pas un culte ; le sujet m’a été proposé. Cela dit, j’ai vu tout de suite l’intérêt qu’il présentait : derrière le personnage, il y avait une époque, un destin… Soit dit en passant, il vaut mieux, quand on entreprend de réaliser une bande dessinée ou, plus exactement, un roman graphique tel que Sweet Jayne Mansfield, prendre la chose à cœur : cent cinquante pages, cela représente plus d’un an de travail. Plusieurs mois de recherches. Plusieurs mois pour l’élaboration du scénario : je livre un découpage très précis, case par case, que le dessinateur modifie rarement, uniquement lorsqu’il sent qu’il faut donner plus d’importance à telle ou telle vignette. Et on ne trouve pas forcément tout de suite le bon dessinateur – celui dont le style convienne au sujet et qui ne soit pas déjà retenu par un autre projet.
Je dois d’ailleurs avouer qu’au départ, j’ai un peu sous-estimé la tâche qui m’attendait. Je me suis dit que Jayne Mansfield serait un sujet moins complexe que Jimi Hendrix, sur lequel je planche depuis plusieurs années. Mais j’avais tort. Jayne Mansfield est un personnage très paradoxal : c’est d’un côté la femme-objet, la pin-up, la blonde pulpeuse sans cervelle, mais de l’autre, autrement dit dans la réalité, c’était une femme très intelligente. Sans avoir le génie d’Hedy Lamarr, qui, comme on sait, inventa les principes du GPS, elle possédait une mémoire exceptionnelle et avait des talents de musicienne, ce qui n’est pas mauvais pour une comédienne, et il paraît que Robert Kennedy qui, selon toute vraisemblance, eut – tout comme son frère John d’ailleurs – une aventure avec elle, fut très surpris de découvrir à quel point cette bimbo n’était pas une bimbo.

Dans les passages narratifs, le narrateur – vous-même ? – s’adresse directement à Jayne Mansfield, à la deuxième personne du singulier (« Oui, tout roulait pour te conduire à la gloire… »).
Le narrateur est anonyme, mais c’est bien sûr un peu moi. Un ami m’a dit qu’il a vu dans la narration la voix du destin. Pourquoi pas ? J’ai opté pour ce tu parce qu’il introduit une intimité avec le personnage de Jayne, une possibilité de porter dans certains cas, quand on pense qu’elle s’égare, un jugement tendre, empathique, une mise en garde du genre de celles qu’on adresse à quelqu’un qu’on aime bien. Il n’est pas interdit de choisir un angle personnel pour raconter une « histoire vraie », mais il ne faut pas pour autant s’offrir le plaisir de déformer la réalité. Certains films de Tarantino me gênent, quand je vois la manière qu’il a de s’amuser avec des éléments essentiels de l’Histoire – par exemple, avec l’esclavage dans Django. Je ne trouve pas que cela soit de très bon goût. Simon Liberati, dans Jayne Mansfield 1967, récit qui n’est pas dénué de qualités littéraires, a choisi – en prenant visiblement Truman Capote pour modèle – de tout centrer sur le côté morbide, noir, gothique de l’existence de Jayne Mansfield. C’est évidemment son droit, mais cette approche repose sur un présupposé : « Tout le monde connaît Jayne Mansfield, donc je peux privilégier un aspect particulier des choses. » Or ce présupposé est erroné : non, tout le monde – j’ai pu le constater en effectuant mes recherches – ne connaît pas Jayne Mansfield, même si c’est la seule « copie » de Marilyn Monroe dont le nom dise encore un peu quelque chose au grand public. J’irai même plus loin : combien de gens de moins de quarante ans ont vu aujourd’hui un film avec Elizabeth Taylor ou avec James Dean ?

Votre récit est celui d’une chute ininterrompue, mais n’est pas ennuyeux pour autant.
C’est que cette chute, cette dégringolade – conséquence de la combinaison des méfaits d’un système et des erreurs de Jayne Mansfield elle-même – est exponentielle. Certains me demandent pourquoi j’ai suivi l’ordre chronologique. Je l’ai suivi parce qu’il offrait une trajectoire impeccable – je ne veux pas dire heureuse, je veux dire dramaturgiquement impeccable. Pièce en trois actes : I. Glamour. II. Kitsch. III. Trash. Pourquoi Roberto Baldazzini a-t-il opté pour la ligne claire ? Parce qu’on a au départ un personnage de cartoon – Jayne Mansfield a d’ailleurs largement inspiré la Jessica Rabbit de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? –, mais, contrairement à toutes les lois du genre, le cartoon s’achève ici, et très brutalement, en tragédie.
Jayne Mansfield avait du talent. Elle pouvait percer. Elle pouvait être une Marilyn bis. Succès à Broadway ; triomphe de La Blonde et moi ;désir de ne pas être seulement connue, mais aussi reconnue : Les Naufragés de l’autocar, sur un scénario de Steinbeck, n’est finalement pas réalisé par Henry Hathaway, comme c’était prévu, mais Victor Vicas, qui le remplace, s’acquitte honorablement de sa tâche. Malheureusement, juste après cette étape, Jayne est enceinte, ce qui l’empêche de poursuivre sur sa lancée. La Fox voudrait en outre qu’elle se débarrasse de Mickey Hargitay au profit d’un compagnon plus glamour qu’on ne manquera pas de lui trouver. Mais cette femme libérée – et cela fait partie de ses paradoxes – a des principes chrétiens : elle ne veut pas entendre parler de contraception et, à l’âge de trente-quatre ans, est mère de cinq enfants ; elle est loin d’être d’une fidélité exemplaire, mais n’est pas pour autant prête à laisser tomber un homme avec qui elle partage sa vie. Ses grossesses répétées lui font prendre du poids : le studio la fait maigrir à coups d’amphétamines. Elle devient accro… À un moment donné, la Fox était à deux doigts de virer Marilyn et avait l’intention de lui trouver une remplaçante en la personne de Jayne, mais le succès de Sept ans de réflexion a maintenu Marilyn sur son trône. Et Jayne, qui sortait d’une famille bourgeoise et avait des goûts de luxe et qui refusait de dépendre financièrement de qui que ce soit, a été amenée peu à peu à faire des compromis, à aller tourner des films en Italie. Promises, Promises, où on la voit nue, a sans doute été le point de non-retour.
Son désir d’indépendance, son refus d’être une femme au foyer correspondaient assez bien à l’esprit des années soixante. Mais dans les années soixante, du fait de l’image dans laquelle elle s’était laissé enfermer, elle était devenue ringarde. Le rose omniprésent de la phase kitsch avait cédé la place au noir de la phase trash (cabarets minables, drogue, satanisme…).
Chaplin, Bogart, Lino Ventura, Hitchcock, Sergio Leone, votre Jayne… Comment expliquez-vous le succès des romans graphiques ayant trait au cinéma ?
Ce genre n’est pas propre au cinéma et son succès est à mettre en rapport, plus largement, avec le goût du public pour l’Histoire. Il suffit d’un bon dessinateur pour vous reconstituer une bataille de façon convaincante, pour faire surgir des décors du Moyen Âge ou de la période révolutionnaire… S’ajoute la question des droits : si vous voulez réaliser un film documentaire sur Jimi Hendrix, il faudra forcément inclure des chansons ; ou des extraits de films si l’on entend retracer la vie d’un comédien. Tout cela coûte très cher. Trop cher.
Propos recueillis par Frédéric Albert Lévy

Jean-Michel Dupont & Roberto Baldazzini, Sweet Jayne Mansfield, éd. Glénat. 22€.
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