Benedetta de Paul Verhoeven : Showgirl ?

BENEDETTA 2021 de Paul Verhoeven Virginie Efira Paul Verhoeven sur le tournage Prod DB © Guy Ferrandis – SBS Productions – Pathe Films – France 2 Cinema – France 3 Cinema on set; tournage

Par Claude Monnier : Certains crient au génie (« Verhoeven au sommet ! » titre La Septième obsession), d’autres à la décadence (un peu partout sur le net). Comme souvent dans la vie, la vérité est entre les deux…


La vie justement, la vie observée avec impartialité, au-delà du « bien » et du « mal », est tout ce qui intéresse Verhoeven. Soyons donc impartiaux, imaginons que le nom désormais sacro-saint de Verhoeven ne soit pas au générique, essayons de ne pas nous laisser influencer par la politique des auteurs et demandons-nous ce que nous aurions pensé, dans de telles conditions, de Benedetta…. Eh bien, chers lecteurs, si vous êtes encore indécis, vous pouvez vous rendre sans crainte dans votre salle habituelle : Benedetta n’est certes pas un chef-d’œuvre, mais ce n’est pas non plus un ratage ; c’est un bon film, avec de beaux moments, un « film intéressant », comme on disait autrefois dans les tableaux de cotation. Je veux bien admettre cependant que, du cinéaste grandiose de Starship Troopers, on attende autre chose qu’un « film intéressant » mais que voulez-vous, faute de grives…

Verhoeven, disais-je, montre les êtres humains comme ils sont. Dans Benedetta, il filme spécifiquement les contradictions insolubles des gens de religion, oscillant constamment, plus encore que les autres, entre une pulsion vers le Haut (Dieu et ses variantes humaines : la générosité, l’amour, l’amitié) et une pulsion vers le Bas (l’envie de pouvoir, le besoin de survivre, de sauver sa peau, de soulager ses besoins primaires – et sur ce dernier point, Verhoeven ne nous épargne rien !). D’habitude, le cinéaste montre ces contradictions dans des histoires pleines d’actions rocambolesques (de Soldier of Orange à Black Book, de Spetters à Showgirls), mais dans Benedetta, comme dans Elle, il est en quelque sorte « coincé » par le milieu étriqué qu’il observe : milieu banal, médiocre, de la petite bourgeoisie française d’un côté ; milieu réglé, monotone, de la vie monacale dans l’autre. Dans ces deux films, le contraste entre « Haut » et « Bas » sera donc intériorisé, avec toutefois, pour faire concession au « spectacle », quelques accès de grande violence. Benedetta a tout de même un avantage sur Elle : le cadre (une petite cité italienne du 17e siècle) est plus « exotique », et donc potentiellement plus beau et captivant que la banlieue française. Et la reconstitution est soignée, malgré le manque de moyens. Alors oui, admettons-le à nouveau, on est plus proche de l’esthétique modeste de Floris que de la splendeur sauvage de La Chair et le Sang, mais cette esthétique relativement pauvre possède son charme et, du reste, n’est-ce pas le milieu monacal qui exige ce minimalisme ? Par ailleurs, reprendre, dans un couvent, c’est-à-dire dans un univers quasiment carcéral, les mouvements de caméra amples, aériens et virtuoses de La Chair et le Sang, n’aurait-ce pas été quelque peu ridicule ?… Certains mauvais esprits diront que, de toutes façons, Verhoeven n’a plus l’énergie, ni l’assistance technique du grand chef-op Jan De Bont, pour se livrer à une telle virtuosité mais les quelques envolées ébouriffantes de Benedetta (l’approche des brigands à chevaux au tout début du film, le Jésus guerrier plusieurs fois fantasmé par la religieuse, la panique autour du bûcher) prouve que le cinéaste, à plus de 80 ans, en a encore dans le ventre.

Avec Benedetta, Verhoeven a délibérément recherché un certain dépouillement. Corollaire de cette nudité : il donne à son film une grande théâtralité, une théâtralité jusqu’alors absente dans sa filmographie. En effet, le filmage ici est souvent (et délibérément) fixe, frontal, ce qui est inhabituel chez lui ; mais le procédé est bien vu : c’est le signe, légèrement ironique, que les personnages se mettent constamment en scène, en représentation devant les autres, à commencer bien sûr par Benedetta elle-même, qui « surjoue » les stigmates du Christ (pour elle ? pour les autres ? on ne sait) ; le cinéaste montre d’ailleurs plusieurs spectacles conçus par les jeunes nonnes, plusieurs mystères dans ce mystère qu’est la vie intérieure de Benedetta !

Soulignons que ce filmage « retenu » accentue d’autant plus le comportement anormal de ces religieuses, faisant de Benedetta un film tout aussi inconfortable que les autres Verhoeven, véritable cinéaste « poil à gratter », quel que soit le pays où il s’installe. Le film est ainsi à l’image de la robe fruste et désagréable que doivent porter toutes les novices à l’époque, pour ne pas se sentir trop à l’aise dans leur corps, car le corps, leur répète-t-on, est leur « pire ennemi ».

Ce qui est beau dans Benedetta, c’est que Verhoeven ne se moque pas. La très belle musique d’Anne Dudley nous donne un indice du véritable moi intérieur du cinéaste : la compassion pour l’Homme, malgré et surtout grâce à ses défauts. On n’étudie pas la vie de Jésus, comme Verhoeven l’a fait pendant des années, sans en recevoir quelques leçons ! C’est ainsi qu’une émotion réelle survient lorsque le cinéaste donne toute leur place à des personnages « secondaires » (mot impropre chez lui, comme il l’est chez Renoir) : sœur Jacopa (Guilaine Londez, superbe), atteinte d’une tumeur au sein, sœur Felicita (Charlotte Rampling), dépassée par l’ambition de Benedetta, le nonce (Lambert Wilson), victime expiatoire de sa propre chasse aux sorcières…

Loin du cynisme attendu, le sentiment qui domine Benedetta est celui d’une sincère désolation.

Claude Monnier

Suivez toute l’actualité de STARFIX

STARFIX est une marque déposée par STARFIX PRODUCTIONS

Laisser un commentaire