Hitch le facétieux

Par Claude Monnier : Dans son article polémique sur Outrages de De Palma (Starfix n° 80, janvier 1990), Nicolas Boukhrief résumait les entretiens Hitchcock/Truffaut par cette formule :  » Comment faire proprement des films dégueulasses « . Autrement dit : comment, dans un cadre commercial soumis à la censure, faire des sous-entendus sexuels.

Hitch(cock) était facétieux. Disons-le : c’était un sale garnement (que penser d’un homme qui, pour Noël, offrait à ses amis un sac de pomme de terre ?). Deux passages de ses fameux entretiens montrent bien son tour d’esprit particulier. Quand il évoque le baiser final de La Mort aux trousses, il avoue : « Le plan qui suit immédiatement le wagon-lit (le train qui pénètre dans le tunnel) constitue le final le plus impertinent que j’ai jamais tourné. » (Hitchcock/Truffaut, Ramsay, p. 121) ; et quand il évoque la fameuse scène de « résurrection de Madeleine » dans la chambre d’hôtel de Vertigo, il se lâche carrément : « James Stewart n’est pas complètement satisfait parce qu’elle n’a pas relevé ses cheveux en chignon. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’elle est presque nue devant lui mais se refuse encore à enlever sa petite culotte. Alors James Stewart se montre suppliant et elle dit : « D’accord, ça va », et elle retourne dans la salle de bains. James Stewart attend. Il attend qu’elle revienne nue cette fois, prête pour l’amour. » (Idem, p. 208)

Ainsi, à la grande surprise de Truffaut, deux scènes hautement sentimentales sont ramenées, par l’auteur lui-même, à des considérations bassement sexuelles, voire pornographiques ! Si bien que, concernant spécifiquement Vertigo, il n’est pas interdit d’aller plus loin et de se poser la question : et si ce film, qui passe à juste titre pour l’un des sommets du romantisme au cinéma, était en même temps, pour tonton Alfred, une immense blague autour des problèmes d’érection d’un homme, en l’occurrence Scottie/James Stewart ?

Penchons-nous sur la chose : dès l’introduction, sur les toits de San Francisco, Scottie cherche à égaler la performance virile d’un policier qui escalade une corniche pour poursuivre un criminel. Scottie passe donc par le même chemin, rate son coup, tente de se soulever péniblement et s’écroule, pendouillant pathétiquement.

Pensons également à la scène chez Mitch (Barbara Bel Geddes) où Scottie veut épater son ex-fiancée en grimpant sur un tabouret, afin de lui prouver qu’il est guéri de son acrophobie (lisez : de son impuissance) ; là encore, il s’élève laborieusement, essayant de jouer les durs… et se dégonfle mollement dans les bras de la jeune femme qui le console.

Quand plus tard la troublante Madeleine (Kim Novak) lui dit qu’elle a retrouvé son appartement grâce à la tour visible depuis sa fenêtre (on est chez Hitch, donc tour = phallus, ce qu’a bien compris Mel Brooks), Scottie répond comme par hasard : « C’est bien la première fois que cette tour me sert à quelque chose ! »

Evidemment, lorsqu’il s’agit de suivre la belle blonde au Septième Ciel, au sommet de la tour de l’abbaye, le pauvre vieux Scottie peut faire tous les efforts qu’il veut, il n’y arrive pas et s’écroule une fois de plus. Une fois de trop, hélas. Elle le quitte définitivement.

C’est pourquoi, après une période bien compréhensible de dépression, Scottie veut reprendre les choses en main (hum…) : c’est la fameuse séquence, primordiale du point de vue pervers de Hitchcock, où le héros cherche à faire ressembler Judy la brune à Madeleine la blonde, afin de retrouver son excitation – on connaît les fantasmes graveleux de Hitch sur les blondes b.c.b.g. qui, selon lui, « deviennent des putains dans la chambre à coucher » et « vous arrachent votre braguette en montant dans un taxi » (Hitchcock/Truffaut, p. 188).

Ironie suprême du film et chute de la blague salace made in Alfred : c’est au moment où Scottie se livre à sa meilleure « performance » (il emploie d’ailleurs ce terme à propos de la « comédienne » Judy), c’est-à-dire au moment où il parvient enfin à grimper au sommet de la tour, avec une grande fermeté, n’ayant plus peur du « vide », que la femme, elle, n’arrive plus à suivre : elle n’en peut plus, elle pousse un cri et connaît sa « petite mort » bien avant lui !

Le dernier plan (Scottie tout seul dans/avec sa tour bien dressée) peut évidemment, au premier degré, se lire de manière tragique, mais dans l’optique discrètement facétieuse de Hitch, l’image de Scottie debout, les bras ballants, peut vouloir dire également : « Mon pauvre ami, tu as retrouvé toute ta vigueur mais regarde à quoi elle te sert maintenant !… »

Claude Monnier

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