
Par Claude Monnier : Le classique de John Sturges vient de ressortir en Blu-ray cet été, dans une copie immaculée. L’occasion de se pencher à nouveau sur la force du Hollywood de l’âge d’or.
Clair comme de l’eau de roche, intemporel comme une tragédie, tel est Le Dernier train de Gun Hill. Clarté et intemporalité sont d’ailleurs à la source de sa conception. Pour l’équipe gagnante de Règlements de comptes à OK Corral, il s’agit avec Gun Hill d’épurer le western au maximum. On connaît l’intrigue, d’autant plus qu’elle est immémoriale : une femme est violée et tuée. Son époux va chercher à la venger. Dilemme cornélien : le violeur/tueur est le fils de son meilleur ami.
Parlons clarté d’abord : pour cette intrigue simple et forte, l’équipe a choisi une nouvelle fois la caméra VistaVision, la meilleure jamais inventée, de la HD avant l’ère de la HD. C’est d’ailleurs pourquoi le film passe admirablement en Blu-ray : en quelque sorte, il est « fait » pour cela. Mais ce choix, qui, à l’époque (1959), correspond à un simple désir de la Paramount de se démarquer d’une part de la télévision, d’autre part du CinémaScope de la Fox, est pour le cinéaste John Sturges l’occasion d’un paradoxe délibéré et captivant : se servir d’un format grandiose pour filmer une intrigue « en chambre » – le nœud de l’intrigue se déroule en effet en intérieur, notamment dans une chambre d’hôtel où le héros Kirk Douglas se confine. Ainsi, la cristalline profondeur de champ et les légères contre-plongées de Sturges transforment l’écran en espace quasi tridimensionnel, un espace aussi « tangible » qu’une scène de théâtre, qui permet de mesurer le vide, mieux : le gouffre entre les personnages ; ce qui tombe bien : le film est une pure tragédie à base de séparations physiques et de déchirements intérieurs.

Parlons intemporalité ensuite : elle est d’abord liée à la nature tragique du sujet, au sens antique du terme. D’emblée, les panoramiques droite-gauche qui ouvrent le film (une femme se promène avec son fils sur son chariot, à travers un bois automnal ; deux jeunes hommes éméchés se mettent à sa poursuite) donnent un sentiment de mouvement inexorable : ces deux jeunes hommes vont fatalement vers leurs bas instincts ; cette femme va fatalement vers sa mort. Puis, du diurne naturel de cette ouverture, on s’enfoncera peu à peu, au cours du film, dans le nocturne urbain. Cette nuit urbaine est celle de la Civilisation, dans son aspect le plus négatif : la domination d’un pouvoir autoritaire (ici l’éleveur macho incarné par Anthony Quinn) sur les habitants. D’où cette question éternelle, à la base de toute démocratie : qui va oser le contrarier ?…
L’intemporalité du film vient aussi de la conception esthétique du western qu’avait Hollywood dans les années 1950, décennie où le genre atteint son apogée : les réalisateurs ne cherchent pas à faire réaliste, pas de moustache pour les hommes (alors que quasiment tous les hommes en portaient une, et une grosse, dans le vrai Ouest), pas de crasse, pas de boue, pas de vieux habits ou de chapeaux mous : tout est glabre, rutilant, tiré au cordeau, comme dans une pub des fifties. Si bien que nous ne sommes pas tout à fait dans le passé, ni tout à fait dans le présent. Nous sommes dans une région intemporelle et magique qui n’est pas sur la carte de l’Amérique mais qui a un nom : le « western hollywoodien années cinquante ». Et ce flottement entre deux âges renforce d’autant plus l’aspect intemporel, et donc éternel du récit.
De fait, et je puis en témoigner, un jeune d’aujourd’hui regardera ce film pur et grave avec concentration et respect. C’est loin d’être le cas pour un western des années trente, quarante, ou même pour le néo-western des décennies post-1968.
Preuve qu’avec Le Dernier train de Gun Hill, Sturges est bien plus qu’un artisan consciencieux (image qui lui colle à la peau) : c’est un artiste rigoureux et conscient de sa grande portée.
Claude Monnier
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