A Bigger Splash

Par FAL : Le remake américain (réalisé en 2015 par Luca Guadagnino) du film français La Piscine (1) empruntait son titre, A Bigger Splash, au célèbre tableau de David Hockney représentant une piscine californienne déserte, avec toutefois, sous le plongeoir, un éclaboussement qui laisse supposer la présence d’un nageur. Mais ce même titre, A Bigger Splash, était déjà, plus légitimement, celui d’un documentaire sur Hockney réalisé en 1973 par Jack Hazan, et qui ressort aujourd’hui. En version restaurée, bien sûr.

Rien n’est plus difficile à percer que le mystère de la création, dans quelque discipline artistique que ce soit. Les biopics sur Beethoven se composent généralement d’une succession d’anecdotes, plus ou moins pittoresques, sur sa vie ; les biopics sur des écrivains nous les montrent assis à leur bureau en train d’écrire, ce qui est sans doute exact, mais ne contribue guère à nous faire entrer dans leur cerveau… On pourrait a priori penser que l’entreprise est moins désespérée quand c’est le cinéma qui s’avise de rendre compte de l’œuvre d’un peintre, puisque tout tourne, d’un côté comme de l’autre, autour d’images, mais le rapprochement est très largement fallacieux, puisque le cinéma, par définition, montre le mouvement, alors que la peinture ou bien choisit les pauses qui se glissent subrepticement dans le mouvement (v. par exemple La Laitière de Vermeer), ou bien, quand mouvement il y a, se borne – mais c’est là tout l’art ! – à le suggérer. C’est ainsi que dans son tableau A Bigger Splash, Hockney nous fait deviner la présence d’un plongeur invisible. Et c’est le même Hockney qui explique, dans ce documentaire, comment ses recherches l’ont amené dans une vaste mesure à trouver les moyens de faire exploser les limites de la toile.

Le documentaire de Jack Hazan, qui s’attache à sa vie et à son travail pendant trois ans au début des années soixante-dix, ajoute a priori du mystère au mystère. Sans doute les spécialistes de la question sont-ils capables de reconnaître les différents intervenants qui se succèdent, dans des séquences prises sur le vif ou – lorsqu’elles ont un parfum onirique – mises en scène, mais le profane risque de se sentir très vite un peu perdu : vues de la rue (toujours déserte et presque lugubre) de Hockney à Londres ; vraie piscine hollywoodienne (peuplée, cette fois, de jeunes hommes fort légèrement vêtus) ; conversations plus allusives qu’éclairantes ; Hockney tout nu sous sa douche (dotée de jets hydromassants, destinés à produire a bigger splash ?) ; séquence gay quasi pornographique… Bref, du décousu main.

Mais le mystère se dissipe au moins un peu lorsqu’une séquence nous invite à penser que le film lui-même, dans son travail de décomposition, est à l’image de la démarche de Hockney. Malgré leurs aspects out of time et out of this world, ses tableaux ont toujours pour base la réalité : sur la toile, il dessine la silhouette de tel personnage à partir de la projection d’une photographie. Ce faisant, il s’inscrit dans une tradition souvent ignorée – parce qu’on aime à penser que le génie des artistes consiste à créer ex nihilo –, mais établie depuis des siècles (Hockney a même consacré tout un ouvrage à ce sujet) : Vermeer, par exemple, utilisait une gigantesque camera oscura, et l’on a pu, à partir de la perspective représentée dans ses tableaux et de savants calculs trigonométriques, établir qu’il mesurait environ 1,65 m (v. le chapitre Vermeer dans l’admirable série « Palettes » d’Alain Jaubert) ; plus simplement encore, si beaucoup de peintres se représentent, dans leurs autoportraits, tenant leur pinceau de la main gauche, c’est tout simplement parce qu’ils peignaient à partir de leur reflet dans un miroir…

Où est alors la phase de création dans cette affaire ? Elle intervient dans la recomposition, dans la réunion de plusieurs réalités différentes. Ce personnage figé au bord d’une piscine californienne a posé en fait à Londres, et c’est le pinceau du peintre qui l’a fait miraculeusement passer par-dessus l’océan. Ce jeu est bien plus qu’un jeu – c’est une évasion au sens plein du terme. Dans les années soixante, l’homosexualité en Angleterre constituait encore un délit passible de prison. Pour des gens comme Hockney – qui, soit dit en passant, réside aujourd’hui en France –, la Californie représentait alors la liberté, ou tout au moins une parenthèse de liberté (puisqu’il explique à un moment donné qu’il n’imagine pas qu’il puisse s’y installer définitivement). Et si cela est loin de dissiper intégralement le mystère, nous comprenons un peu mieux pourquoi le visage enfantin de Hockney semble exprimer en permanence tout à la fois tristesse et amusement.

Frédéric Albert Lévy

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