Mourir Peut Attendre : Le Dernier James Bond

Par Claude Monnier : Chaque James Bond possède son essence. J’entends par essence une tonalité, une ambiance, un concept qui synthétise le sujet du film et sa forme. Souvent, c’est l’esprit du méchant qui crée l’essence des œuvres. Ainsi, l’essence de L’Espion qui m’aimait, c’est la mythologie antique (car nous sommes dans la tête de Stromberg) ; l’essence d’On ne vit que deux fois, c’est la rêverie (celle d’un Blofeld qui a quitté toute réalité du fond de sa caverne) ; celle d’Opération Tonnerre, c’est le froid combat entre squales (SPECTRE et MI6 sont dès lors renvoyés dos à dos) ; celle de 007 SPECTRE, c’est le sépulcre.

Qu’on le juge réussi ou raté, Mourir peut attendre est aussi élaboré, aussi souterrainement complexe que les autres. Quelle est donc l’essence de ce dernier opus ? C’est la tristesse. Cette tristesse découle du thème central du film, qui est la transmission. Or, la transmission implique toujours une perte, un vide, pour celui qui donne et même, au fond, pour celui qui reçoit. Celui qui donne à autrui, par exemple un père à son enfant, n’est-il pas destiné, en effet, à s’effacer et, en passant le relais, à laisser seul celui qui reçoit ? Le film est donc fait de cette triste chaîne : transmission du virus mortel par la génétique (c’est l’obsession du méchant reptilien, Safin), transmission du malheur par le traumatisme familial (Bond, Blofeld, Madeleine et Safin), transmission des valeurs par l’amitié ou l’amour (Bond et Leiter, Bond et l’équipe du MI6, Madeleine et sa fille). Cette dernière transmission, positive, est malgré tout teintée de tristesse puisqu’elle passe souvent, elle aussi, par la mort (Felix d’une part, le triste et mystérieux monsieur B. d’autre part).

Le cinéaste Cary Fukunaga a été appelé par EON Productions en remplacement express de Danny Boyle, non seulement pour sa rapidité d’exécution (il filme vite et bien, comme le prouve la première saison de True Detective), mais aussi parce qu’il est attiré par la tristesse, le poids du passé et les troubles de la psyché, ainsi qu’on peut le voir dans ses deux premiers films (Sin nombre, sur les migrants, Jane Eyre) et sa série Maniac. Pour Mourir peut attendre, il a demandé au chef-op de La La Land, Linus Sandgren, une tonalité essentiellement automnale, épousant parfaitement les espaces désolés qui parsèment le film (la villa de Madeleine, les rochers de Matera, les rues pauvres de Cuba, le Londres fin de règne qu’arpente M, la forteresse de Safin). Mais c’est aussi cette lumière automnale qui donne sa beauté au film, l’empêchant de sombrer dans l’abîme, amenant un fragile espoir.

Du reste, pour les personnages, la désolation est le moteur de leur quête, qui est celle du contact, même si celui-ci est souvent impossible, y compris et surtout pour notre Bond maudit. Les premiers plans du film disent tout : plongée verticale sur un homme seul qui avance péniblement dans une forêt lugubre, sa silhouette apparaissant ensuite dans la ligne de fuite d’une fenêtre (celle de Madeleine), se tenant parfaitement au centre, inexorable : enfant ou adulte, Madeleine est à la croisée des chemins. Bond et Safin sont ses âmes sœurs : dès qu’elle remonte à la surface de l’eau-miroir, au début du film, c’est sur leur regard qu’elle tombe immédiatement, les deux hommes étant (l’un dans le passé, l’autre dans le présent) dans une position identique d’attente et d’incompréhension. Tous ces êtres sont seuls et tentent désespérément de s’accrocher les uns aux autres. On prend ce qu’on trouve. Et on étreint ce qu’on peut, y compris Blofeld…

Il est évident que Fukunaga ne s’intéresse pas à l’action dans ce film, expédiée sans grande imagination par la seconde équipe. Cela affaiblit un peu l’ensemble mais renforce par contrecoup l’émotion d’un Bond qui n’a plus envie de se battre. Ce dernier songe carrément au suicide au début du film (au sein de l’Aston Martin mitraillée), tombe à genoux à la fin, mais va tout de même au bout de ses forces, parvenant péniblement à monter tout en haut de la forteresse, n’en devenant que plus héroïque. Car plus humain.

Depuis Casino Royale, on voit bien que Daniel Craig a voulu revenir, en symbiose avec la productrice Barbara Broccoli (qu’on devine amoureuse de lui, au gré des reportages et interviews), à la conception du personnage dans Au Service Secret de Sa Majesté, aussi bien le film que le roman de Fleming : un James Bond humain et mélancolique. Ici, la filiation cinématographique (autre forme de transmission) avec le Bond de George Lazenby est pleinement avouée par la très belle reprise, par Hans Zimmer, du thème musical de Tracy, annonçant aux connaisseurs que toute cette histoire va mal se terminer. Quant aux non connaisseurs, ils se retrouveront tout simplement devant un blockbuster adulte : c’est énorme et il ne faut pas le négliger.

Blockbuster qui commence par une femme dépressive abattue de sang-froid et qui montre essentiellement l’intimité d’un couple en crise, Bond et Madeleine reproduisant sans s’en rendre compte la malédiction du couple White (les parents de Madeleine), dont le triste sort hantait déjà 007 SPECTRE.

Blockbuster où même les petites filles, apprenant la douleur du deuil, ne rient pas.

Claude Monnier

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