
Par Claude Monnier : Contre toute attente, le meilleur film de l’année 2021 restera peut-être le voyage dans l’espace de l’acteur William Shatner, à bord de la fusée Blue Origin du milliardaire Jeff Bezos.

Film court (40 min) mais remarquable à plusieurs titres et d’abord, évidemment, par ce qu’il implique : William Shatner dans l’espace, ne fût-ce qu’un quart d’heure, c’est une chose qu’on n’aurait pas imaginé autrefois, même pour rire. La réalité dépasse souvent la fiction, mais là, le record est battu ! Quoi qu’on pense de lui et de sa fière Amazon, on peut savoir gré à Jeff Bezos d’avoir invité Shatner à son bord. D’une part, l’expérience tient du jamais vu : on constate qu’un homme de 90 ans – et plutôt gros, pardon de le dire – peut subir sans dommage l’énorme pression du départ, l’apesanteur et le retour au sol relativement musclé. D’autre part, il y a dans ce voyage fulgurant une charge symbolique et émotionnelle indéniable : on se dit que l’utopie de Gene Roddenberry, celle d’un espace intersidéral ouvert à l’humanité, utopie symbolisée ici par l’interprète légendaire du capitaine Kirk, pourrait bien, à terme, se réaliser. En effet, si l’on peut faire aujourd’hui un voyage dans l’espace en un clin d’œil, alors il est évident, connaissant la démocratisation de toutes les avancées technologiques depuis 1800, que dans cent ans, on ira sur la Lune ou sur Mars comme on va aujourd’hui à Rome ou à New York ! Ce qui est beau avec ce « petit film », c’est de voir un rêve devenir réalité, en direct. Et cette émotion est vécue en symbiose par le comédien et les spectateurs, surtout ceux qui sont fans de Star Trek. De fait, sous nos yeux sidérés, Shatner/Kirk vit littéralement une épiphanie, saisissant, comme bien des astronautes avant lui, la beauté divine de notre planète bleue : une sphère lumineuse qui fait fièrement face aux ténèbres, sorte de phare, d’affirmation, de message (mais à qui ?) dans le gouffre insondable de l’infini.

Ce qui nous amène au deuxième aspect remarquable de cette superproduction Amazon de plusieurs millions de dollars : son superbe récit, tout en suspense, émerveillement et… gags. Suspense intense au début du film, au moment du compte à rebours (une tradition depuis La Femme dans la Lune de Fritz Lang), où l’on a réellement peur pour la survie des passagers (une explosion au décollage est toujours possible) ; inquiétude et espoir mêlés lorsqu’on voit le vaisseau s’éloigner dans le ciel immense, dans un beau plan-séquence en longue focale ; émerveillement bien sûr, lorsqu’on voit Shatner (dans une vidéo adjacente) vivre en direct son épiphanie en contemplant la sphère bleue, depuis un cockpit à multiples fenêtres qui semble pensé pour le format large ; contraste comique entre le comédien immobile, prosterné et de dos, littéralement en prière devant l’autel céleste, et les seconds rôles (dont on a déjà oublié les noms) très occupés à faire des cabrioles ; retour au suspense avec la descente violente de la capsule vers le plancher des vaches, dans le désert du Texas ; et puis surtout ce gag génial, en contraste total avec le suspense précédent, lorsqu’au sortir de la capsule Jeff Bezos vient accueillir Shatner avec une bonne bouteille de champagne et que le comédien « casse l’ambiance » en refusant la coupe, préférant soliloquer sur les implications spirituelles de ce qu’il vient de vivre. Et Jeff Bezos de rester là, tout penaud, brûlant de rejoindre les figurants qui s’aspergent puérilement derrière lui !…

Enfin, je ne sais pas qui est le metteur en scène de ce très bon film mais, outre sa gestion remarquable, tout en contrastes, des avant-plans et des arrière-plans (voir l’exemple ci-dessus), il utilise, au moment de l’atterrissage de la capsule, une superbe lumière rasante, captée en plan aérien par un drone : lumière romantique qui nous renvoie habilement à la tonalité esthétique de L’Etoffe des héros et efface un peu plus la dernière frontière entre réalité et fiction. C’est bien vu de sa part.
Claude Monnier
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