Cry Macho : le vieil homme et l’enfant

Par Claude Monnier : Avec Cry Macho, Clint Eastwood reprend la route du Mexique, comme avec The Mule, mais cette fois dans une « ambiance western » qui le ramène à ses vieilles amours : Mike Milo, un vieux cowboy texan, accepte par dette d’honneur d’aller chercher au Mexique l’enfant de son patron, le jeune garçon étant sur le point de tomber dans la délinquance. Mais la mère, une femme autoritaire qui fréquente la pègre locale, n’entend pas laisser faire le vieil homme.

On ne peut jamais jurer de rien avec Eastwood, qui n’en finit pas de vieillir et de tutoyer ironiquement la mort, mais c’est sans doute la dernière fois qu’on le voit sur un cheval, la dernière fois qu’on le voit porter santiags et stetson. Cela doit donc se savourer. Et pour ceux qui trouvent gênant de voir sur l’écran l’acteur Eastwood déplumé et chancelant, à la voix tremblotante, ne vous laissez pas abuser : il suffit d’observer la mise en scène et la conduite du récit pour comprendre que le cinéaste Eastwood, lui, a conservé toute sa maîtrise et que ce rôle est, à sa manière, une composition.

La composition, justement, est ce qui est pointé du doigt par le film : tous les machos que l’on côtoie sont constamment en représentation, ayant peur de montrer leur stress ou leurs sentiments. Leta (Fernanda Urrejola), la mère autoritaire du jeune Rafael (Eduardo Minett), joue elle-même « les hommes de clan » et cache ses failles derrière une fierté de façade. Dans les scènes tendues et sombres entre le vieil homme et cette maîtresse-femme, le réalisateur Eastwood délaisse le western pour flirter avec le film noir, Leta ayant l’allure d’une femme fatale des années quarante. Mais dans un cas comme dans l’autre, western ou film noir, le cinéaste montre par ses cadrages stylisés que tous ces machos font « du cinéma » ou, plus exactement, se font du cinéma. Tout l’enjeu du film est donc, pour les protagonistes, de se désarmer, d’aller vers la sincérité.

Remarquons qu’au début, Eastwood se met en scène de manière morcelée et fétichiste (on ne voit pas son visage, seulement des gros plans de ses « attributs virils » : main sur le levier de vitesse, clé de voiture, bottes, etc.), le cowboy Mike Milo refusant de se dévoiler. Mais c’est pour mieux faire contraste avec les plans simples, de face et en pleine lumière, sur le vieux cowboy, qui se montre plus en plus ouvert au cours du périple. La renaissance solaire de cet homme qui se nourrissait d’ombres (troublant contre-jour du bivouac dans le désert, où Mike se couche sur le sol et disparaît sous la ligne d’horizon, comme s’il descendait volontairement dans la tombe), cette renaissance passe bien sûr par le contact avec le naïf Rafael, mais également par le contact avec les animaux, qui est un motif central du film : non seulement le beau coq de Rafael, qui donne son nom au film (« Macho ») et qui symbolise la vraie force, loin du machisme superficiel et ridicule des « bad boys », mais aussi les autres animaux qui viennent littéralement saluer le vieil homme, comme pour lui rappeler qui il est vraiment : les chevaux  qui courent fièrement à côté de sa voiture, au début, et qu’il n’aperçoit pas  ̶  ou ne veut pas voir ; puis les animaux blessés du petit village mexicain, qu’il est obligé cette fois de regarder de près, en gros plan, pour les soigner : des chevaux sauvages, un vieux chien, un cochon apeuré. Soit la vie dans ce qu’elle a de plus pur, dans ce qu’elle a de plus innocent.

De fait, on comprend que Cry Macho n’a de western que l’apparence : le machisme, les crapules et le Wilderness qu’Eastwood cadre avec autorité, en cinémascope, sont délibérément annulés par l’épisode central, dans le modeste café de Marta, veuve mexicaine entre deux âges qui accueille les deux fuyards avec générosité (émouvante Natalia Traven). Là, face à cette femme chaleureuse entourée de ses petites filles, le vieil homme et l’enfant prennent conscience que leur conception « virile » de l’existence ne vaut rien. « Du vent », dit le vieux cow-boy. Là, les cadrages amples sur le désert sont remplacés par des gros plans sur des petites filles timides et leur regard magnifique, bouleversant.

On a reproché au film le jeu gauche de Eduardo Minett, mais c’est justement cette gaucherie que recherche le cinéaste Eastwood lorsqu’il se concentre sur les enfants : que l’on pense au jeune Kyle Eastwood dans Honky Tonk Man ou au petit garçon d’Un Monde parfait, autres road-movies semi-westerniens entre un homme usé et un enfant. C’est aussi par ce choix de jeunes comédiens « sans trucs » qu’Eastwood montre sa méfiance envers les normes hollywoodiennes et ses enfants stars « dégourdis ».

Et c’est surtout un moyen pour Eastwood, légendaire figure de guerrier, de montrer ce qu’il a compris en vieillissant : rien n’est plus puissant, rien n’est plus dévastateur, que le regard d’un être désarmé.

Claude Monnier

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