House of Gucci : le monde du luxe selon Ridley Scott

Par Claude Monnier : Avec House of Gucci, Ridley Scott poursuit son intéressant cycle italien, toujours dans cette atmosphère de luxe et de décadence qui évoque les Médicis et les Borgia : comme Hannibal et Tout l’argent du monde, House of Gucci parle en effet de classes sociales qui se déchirent, de milliardaires monstrueux, de parents castrateurs et d’innocence sacrifiée. A chaque film toutefois, le cinéaste choisit une tonalité différente : tonalité horrifique pour Hannibal, dramatique pour Tout l’argent du monde, tragi-comique pour House of Gucci. Tant il est vrai que la variété des genres est une religion pour Scott…

House of Gucci relate donc, sur un mode ironique, la décadence de cette célèbre famille, avec comme point culminant l’assassinat de l’héritier Maurizio (Adam Driver) par son ex-épouse Patrizia Reggiani (Lady Gaga), celle-ci, fille de camionneur, ne supportant plus d’être considérée par les Gucci comme une vulgaire « pièce rapportée ».

Au premier abord, et comme souvent avec Scott, toujours plus subtil qu’il n’y paraît, le film est assez insaisissable… Où le cinéaste veut-il en venir ? De part et d’autre de la séquence clé (l’assassinat de Maurizio), qui ouvre et referme le récit, Scott accumule les petites scènes, sans réelle intrigue (c’était déjà le cas avec cette autre fresque sur l’argent : American Gangster). Comme un peintre qui procède par petites touches (la toile de Klimt, La Dame en or, est explicitement montrée dans le manoir des Gucci), Scott semble vouloir nous faire effleurer, tout en douceur, en une manière de réflexion, la brillance de ce monde doré. Brillance parfois réelle, car l’industrie du luxe génère une indéniable beauté artistique (et l’auteur des pubs pour Chanel n° 5 s’en donne à cœur joie !), brillance parfois trompeuse quant aux rapports humains.

Film difficilement pénétrable, donc. Pourtant, à bien y réfléchir, la clé de cette fresque de deux heures trente, c’est peut-être tout simplement Cendrillon (conte explicitement cité par Maurizio et Patrizia lors de leur première rencontre) … à ceci près que dans House of Gucci, Cendrillon ne supporte pas que son carrosse redevienne citrouille et décide de tuer le prince charmant ! Dans le conte originel, la bulle du monde enchanté était toujours sur le point d’éclater ou de se salir. C’est la même chose ici. Pensons à cette ellipse comique entre la copulation frénétique du couple et le mariage vécu comme un rêve de petite fille par Patrizia. Pensons aussi au motif récurrent du bain moussant où se prélasse la jeune femme : à force de trop fréquenter son âme damnée, la « voyante » Pina Auriemma (Salma Hayek), le bain de bulles finit par devenir un bain de boue. De princesse, elle devient marâtre.

À l’image du meurtre qui ouvre et referme le film, le récit est construit sur un effet de répétition et de boucle, qui correspond au vide existentiel de cette famille qui ne crée plus, se contentant de contrefaçons, contrefaçons qui ne font que reproduire, en un écho dérisoire, la gloire passée. Et qui dit vide dit peur du vide. Comme Patrizia, qui reste une « étrangère » pour les Gucci, nous passons sans arrêt d’un continent à l’autre, d’un manoir à l’autre, d’un père à l’autre (Jeremy Irons et Al Pacino), d’un fils à l’autre (Adam Driver et Jared Leto). Et, dans tous les cas, ces lieux de « vie » sont des lieux en voie de disparition, qu’ils reposent sur le souvenir (Irons), sur le paraître et la corruption (Pacino), sur l’incompétence (Leto) ou sur la froideur comptable (Driver). Le luxe ambiant ne génère que béance, dans une tonalité marbrée de mausolée. Et comme Patrizia (très bien interprétée par Lady Gaga, avec un vrai fond de souffrance dans le regard, derrière la vulgarité et la cupidité), nous ne comprenons jamais vraiment cette famille, le film nous laissant volontairement une impression pessimiste de gâchis et de futilité. Mais c’est précisément ce sentiment de gâchis et de futilité qui génère une subtile émotion derrière la froideur, exactement la même émotion cachée (et donc précieuse) qui était à l’œuvre, toutes proportions gardées, dans le Barry Lyndon de Kubrick : ou comment l’idéalisme de la jeunesse se fracasse contre la réalité…

Au fond, derrière son apparence prestigieuse, son casting de luxe et son thème de l’argent roi, House of Gucci laisse poindre une angoisse très intime chez Ridley Scott, la famille Gucci apparaissant ici comme un véritable négatif de sa propre famille : que deviendra mon empire, cet empire d’images patiemment construit avec mon frère Tony, après ma mort ? Mes enfants sont-ils à la hauteur ? Suis-je moi-même un père castrateur ? Et la bulle de beauté que j’ai créée ne va-t-elle pas éclater ?

Claude Monnier

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