
Par FAL : Mais oui, bien sûr qu’il reviendra ! On a même déjà le titre du prochain film : Renaître n’est pas exclu. Bond n’avait-il pas déclaré au méchant, dans un précédent épisode, que sa spécialité n’était autre que la résurrection ? En l’occurrence, on ne nous avait pas dit toute la vérité quand on nous expliquait que Mourir peut attendre concluait définitivement la pentalogie Craig. En réalité, le MI6, parallèlement au projet Heracles(1), développait un projet Phoenix, relativement peu onéreux dans la mesure où il utilisait les mêmes bases de données, et qui, comme son nom l’indique, visait à produire, à partir de leur ADN, des clones des meilleurs agents du MI6 morts on the job. Mais des clones n’ayant pas la même apparence physique que les originaux, afin que l’ennemi ne puisse jamais soupçonner cette opération renaissance. Le prochain Bond pourra donc avoir les traits de Michel Simon, de Marilyn Monroe ou de Dumbo l’éléphant. Tout est possible.
Trêve de plaisanterie. Donc, ils ont osé. Ils ont osé tuer James Bond, au mépris des canons traditionnels de toute série populaire : imagine-t-on que Tintin puisse mourir ? Conan Doyle n’avait-il pas été contraint de ressusciter Sherlock quand il avait cru pouvoir se débarrasser de lui définitivement en le faisant tomber du haut d’une montagne ?(2) Pour Bond, un comeback du même ordre est impossible puisqu’il est réduit en poussière dans une explosion quasi nucléaire à la fin de Mourir peut attendre.
Mais, à la vérité, ils n’ont rien osé du tout. Ils ont tué Bond parce qu’ils ont été contraints de le faire après s’être fourrés eux-mêmes sans le savoir dans un piège sans issue. Si, comme on voudrait nous le faire croire, « l’arc » des cinq « Bond » craigiens avait été défini dès le départ, il n’y aurait jamais eu le cafouillage Danny Boyle.
Umberto Eco – auteur du Nom de la rose – fut le premier à se pencher sérieusement sur la construction des romans de Fleming, dans un article publié en 1963 (et régulièrement réédité depuis) intitulé James Bond : une combinatoire narrative. Certes, il ne songeait pas alors au Bond des films, qui, comme on sait, n’est pas exactement celui des livres, mais l’arborescence qu’il avait dégagée pour les aventures de l’Agent 007 valait dans tous les cas. Dans tous les cas, Bond séduit une Bond Girl, qui, une fois sur deux, est exécutée par le méchant ou qui, l’autre fois sur deux, finit par le quitter, sinon à l’intérieur de l’épisode dans lequel elle apparaît, du moins entre deux épisodes. Bond ne saurait retrouver une épouse tous les soirs à 20h. pour, après avoir dîné, regarder avec elle le film à la télévision. Un agent secret, en tout cas un agent secret comme lui est condamné à être célibataire. Rappelons-nous Sylvia Trench (interprétée par Eunice Gayson) dans Dr. No et dans Bons Baisers de Russie : ce devait être la « régulière » de Bond. Les scénaristes ne tardèrent pas à se rendre compte qu’elle n’avait pas sa place dans « la combinatoire » ; dès Goldfinger, elle avait disparu.
Que faire quand Bond, qui n’est pas seulement un matricule, mais un individu – voir sa fameuse carte de visite verbale « Bond, James Bond » – tombe amoureux fou ? De deux choses l’une : ou il prend sa retraite et cesse d’être 007, et le combat bondien cesse faute de combattant, ou la femme aimée meurt et il peut poursuivre ses activités d’espion comme avant. C’est la première option qui est choisie pour Mourir peut attendre. Au début. Mais une aventure de James Bond à la retraite ne saurait être autre chose qu’un documentaire, si bien filmé soit-il, sur la pêche au saumon. Alors ? Alors, si l’on veut qu’il soit encore et toujours James Bond 007, il faut occire madame, et c’est ce que semble suggérer, dès le prégénérique, la reprise du thème « We have all the time in the world », déjà entendu dans Au service secret de Sa Majesté. Seulement, voilà le hic : on l’a déjà entendu. Autrement dit, nous avons déjà été témoins de l’élimination d’une Madame Bond, et même deux fois plutôt qu’une, puisque la fin de Casino Royale, inspirée de la légende d’Orphée et Eurydice (avec une impossible remontée des Enfers), reprenait un schéma analogue. Il n’était pas question de faire subir à Madeleine le même sort qu’à Tracy et qu’à Vesper. Court-circuit dans la combinatoire : le seul et unique moyen de sortir de l’impasse (que, redisons-le, les scénaristes n’avaient certainement pas prévue en bandant leur « arc »), c’était de tuer Bond. Car, à partir du moment où on lui donnait une vie privée (en offrant d’ailleurs son matricule 007 à quelqu’un.e d’autre), on le faisait entrer dans la catégorie des simples mortels. Mourir peut attendre, certes. Mais la mort finit toujours par arriver.
Ce choix « disruptif » – pour reprendre un terme employé par un critique – ne serait pas forcément scandaleux s’il n’entraînait l’effacement de Bond dès la première minute des 163 minutes que dure cette histoire. Repensez bien au scénario, qu’on ne va pas resservir ici par le menu puisque tous les journaux l’ont déjà fait : le personnage central de l’histoire, ce n’est pas Bond, même s’il est présent sur l’écran, c’est Madeleine Swann. Bond Girl elle n’est pas ; mais lui n’est au fond qu’un Swann Boy.
Et puis, plus grave, il y a dans cette affaire quelque chose qui ressemble au geste d’un petit garçon qui casse ses jouets pour s’octroyer un pouvoir qu’il ne possède pas. On dirait que Craig – interprète, mais aussi coproducteur du film – se venge à retardement des sites du type craignotbond.com créés pendant le tournage de Casino Royale en créant aujourd’hui à son tour, mentalement au moins, le site nocraignobond.com. Après lui le déluge… Ah ! cette veste en velours rose lors de la première à Londres…
Plus complexe est sans doute la position de Barbara Broccoli et de Michael Wilson. Ce sont, depuis vingt ans, les gardiens officiels du temple, mais le temple ne leur appartient plus tout à fait. Il est évidemment bien trop tôt pour savoir ce que sera l’avenir de Bond, mais ils pourront toujours dire, se dire, si d’aventure la déesse Amazon lance une série du genre James Bond à la plage, James Bond à la montagne, James Bond chez les Schtroumpfs, qu’ils avaient eu raison d’euthanasier leur héros plutôt que de le laisser tomber entre les mains de médecins mal intentionnés.
Mais terminons, si vous le voulez bien, par une modeste suggestion, sinon sur une note d’espoir. Puisque James Bond est mort, le seul moyen de le ressusciter convenablement est de faire machine arrière. Par exemple – hypothèse qu’avait évoquée John Glen il y a déjà trois décennies – en remakant Dr. No. À qui confier cette tâche ? Là encore, remontons dans le temps. Mais si, souvenez-vous de ce jeune réalisateur nommé Steven Spielberg qu’on envoya paître quand il émit le souhait de mettre en scène un « Bond ». Comme il a depuis prouvé qu’il était capable de faire revivre les dinosaures et, plus près de nous, les années cinquante – il faut, vraiment, toute la mauvaise foi et tout le snobisme borné de certains critiques français pour trouver décevante sa version de West Side Story (3) –, c’est lui, et lui seul, qui s’impose pour relancer les aventures de l’Agent Double-O-S(t)even.
Frédéric Albert Lévy
(1) Quoi qu’on pense de Mourir peut attendre, il convient de saluer l’originalité du scénario sur ce point : c’est ce projet Heracles, made in U.K. et œuvre du MI6 lui-même (et non d’un quelconque Blofeld), qui risque de provoquer la destruction de toute l’humanité. Prémonition des ennuis causés à l’Angleterre par le Brexit par elle-même choisi ? Avec peut-être, en plus, un soupçon de francophilie à travers le personnage de Madeleine Swann (comme elle, le réalisateur Cary Joji Fukunaga a fait une partie de ses études à la Sorbonne).
(2) On a fait mourir Superman dans une de ses récentes aventures cinématographiques, mais Superman, comme son nom l’indique, est un sur-homme, qui peut certainement renaître aussi facilement que le faisait Dracula dans les films de la Hammer.
(3) Il y a entre autres dans ce film une scène située dans une morgue et qui doit royalement durer trente secondes, mais qui est une leçon de cinéma comme on en voit peu.
(Une version légèrement différente de ce texte est parue dans le numéro de décembre du magazine Le Bond, réservé aux abonnés du Club James Bond, France.)
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