
Si votre idéal cinématographique se résume à Fast and Furious et aux Avengers, le Maigret de Patrice Leconte n’est pas pour vous. Mais si l’on accepte le principe de ce que, chez Simenon, on appelle, faute de mieux, « l’atmosphère », avec le rythme un peu lent que cela implique dans la narration, la réussite est ici totale. Bien sûr, d’autres adaptations ont déjà joué sur cette « atmosphère », mais elle est en l’occurrence constamment justifiée par l’évocation discrète, mais efficace, de la fille de Maigret prématurément disparue, l’enquête devenant alors, comme toutes les vraies enquêtes policières (cf. les romans de Gaston Leroux), une enquête de l’enquêteur sur soi-même. Ce dédoublement narratif va de pair avec une certaine ambiguïté psychologique et morale, mais cela aussi est très simenonien. Quant à Depardieu, on s’étonne, en voyant ce film, qu’il ait fallu attendre si longtemps pour le voir incarner Maigret.

Pourquoi votre film sort-il en février alors que l’adjoint de Maigret se nomme Janvier ?
Patrice Leconte : Parce qu’en janvier le film n’était pas prêt, mais vous avez raison : l’adjoint de Maigret aurait dû s’appeler Février.
Pourquoi avez-vous choisi d’adapter, dans tous les « Maigret », Maigret et la jeune morte, qui n’est certainement pas l’un des meilleurs de la série ?
Ce « Maigret » n’est peut-être pas le meilleur de la série, mais peu importe, c’est le point de départ qui nous a infiniment touchés : une jeune fille est trouvée poignardée square des Batignolles, elle porte une robe du soir, et personne ne sait qui elle est, comment elle se nomme, d’où elle vient, où elle allait dans cette tenue… Maigret s’attache à elle – parce qu’elle lui rappelle sa propre fille décédée ? –, et c’est cela qui est original et émouvant : il enquête pour comprendre qui était la victime plutôt qu’il ne cherche à savoir qui est le coupable. À partir de là, nous avons pris de grandes libertés avec le roman, mais John Simenon nous a dit que c’étaient des libertés que son père aurait adorées.

Vous avez expliqué que les chaînes de télévision ne voulaient pas coproduire ce film parce qu’elles pensaient qu’un Maigret ne pourrait être qu’un téléfilm de plus.
« Téléfilm » est un terme perçu comme péjoratif. Comme si le cinéma était plus noble que la télévision. C’est stupide, bien sûr, et faux : il y a d’excellents téléfilms et d’accablants films de cinéma.
Bien entendu, même sous la torture, vous n’avouerez jamais que ce Maigret est un remake de Sueurs froides ?
Ce n’est pas une question de torture (je suis résistant à la douleur), mais, très sincèrement, nous n’avons jamais pensé à Vertigo. Aujourd’hui, le film est terminé, et on me parle parfois de ce cousinage, de cette réminiscence. Je reconnais qu’il y a un éventuel rapport, mais il est d’autant plus fortuit que Vertigo n’est pas mon Hitchcock préféré.
Plus généralement, un certain nombre de vos films, « commerciaux » ou non (Le Mari de la coiffeuse, Une chance sur deux, Le Parfum d’Yvonne, Les Bronzés 3, Une promesse) ont pour thème majeur, sinon central, la remontée du passé. Est-ce une obsession lecontienne ?
Mes éventuelles obsessions m’échappent, et ce n’est en tout cas pas à moi de les pointer. Je reconnais malgré tout que mon imagination plane souvent du côté du passé, voire de la nostalgie. En évitant toutefois de sombrer dans le « c’était mieux avant », qui est un truc de vieux con.

Il y a comme une « distanciation brechtienne » dans les véhicules automobiles qu’on voit dans Maigret. Ils brillent tous comme un sou neuf. Quel sens a donc pour vous le mot réalisme.
Le mot réalisme n’a de sens que si l’on s’échappe du réalisme. Quant aux quelques voitures d’époque trop bien astiquées, j’en suis désolé, car c’est ce qui m’énerve le plus dans les films : lorsque les rues sont envahies de véhicules de collection rutilants, on se croirait au salon Rétromobile !
Annoncé au départ sous le titre Maigret et la jeune morte, reprise fidèle du titre du roman, votre film est devenu Maigret tout court. Qui est à l’origine de ce « raccourci » ?
Je suis à l’origine de ce raccourci, que, bien sûr, je revendique. C’était une manière comme une autre de dire : « Voici notre Maigret. »
Pourquoi faites-vous « s’évanouir » Maigret dans l’un des derniers plans, double paradoxe quand Maigret occupe autant de place que Depardieu ?
Maigret se dissout dans le dernier plan comme s’il n’avait jamais existé et comme s’il n’était pas question pour lui de partir vers de nouvelles aventures. Et puis, c’est une métaphore visuelle amusante, pour un homme qui, à sa manière, a toujours voulu se fondre dans le décor.

La « conclusion » qui nous montre une jeune provinciale débarquant à Paris avec sa valise semble indiquer que tout va recommencer. Pessimisme de votre part ?
Je suis un optimiste réaliste (donc un pessimiste ?), et le fait qu’à la fin Maigret croise une petite provinciale fraîchement débarquée montre bien que les jeunes filles fragiles et insouciantes doivent faire attention au monde rugueux qui les entoure.
Quel est le rôle de la musique dans Maigret ?
J’aime, depuis longtemps, les belles compositions, inventives et inspirées, de Bruno Coulais. J’attendais une bonne occasion pour lui proposer de travailler sur un de mes films. Il a écrit la musique dont je rêvais, une musique qui rôde, ou qui plane, qui parfume les images, sans jamais être démonstrative. Je n’aime pas les musiques qui sont comme un coup de Stabilo sur les scènes.

Le making of de ce Maigret est déjà disponible sous la forme d’une bande dessinée de Nicoby et Joub publiée chez Aire Libre, Leconte fait son cinéma. Serait-ce un hommage à vos années Pilote ?
Cette bande dessinée m’a été proposée il y a trois ou quatre ans par Nicoby et Joub. Je ne savais pas trop ce qu’ils avaient en tête, mais je leur ai fait entièrement confiance. Et je ne le regrette pas. J’adore cet album. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’un jour je deviendrais un « héros » de bédé.

Gabin avait fait trois Maigret. Peut-on imaginer que Depardieu en fasse d’autres avec vous ?
J’aimerais beaucoup retrouver Gérard Depardieu pour faire du cinéma, mais il n’y aura jamais d’autre Maigret. Que pourrions-nous faire d’autre ou de plus ?
Patrice Girod et Frédéric Albert Lévy
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