
Par FAL : Ne discutez pas, c’est écrit sur la jaquette du B-r/DVD que Pathé vient d’éditer : « Martin Bourboulon nous livre un film magistral où l’incroyable histoire de la conception de la tour Eiffel s’entremêle avec une romance intime et bouleversante. Un récit inoubliable, porté par les superbes performances de Romain Duris et Emma Mackey. »
Effectivement, ça « s’entremêle ». Mais cet entremêlement ne risque-t-il pas de tourner au mélimélo ? Il y a, de fait, deux trames narratives dans Eiffel – l’histoire de l’ingénieur Eiffel et celle de l’homme Eiffel, le second se retrouvant brutalement dans un remake de La Femme d’à côté de Truffaut. Rien à dire a priori contre ce principe : ce mélange du général et du particulier est celui qu’on trouve à la base de toute épopée. L’Iliade, c’est la guerre de Troie et la colère de l’individu Achille, qui s’estime frustré à titre personnel. L’Odyssée, c’est le destin d’un individu nommé Ulysse, mais dont les aventures, on le devine, sont représentatives de celles de bien d’autres Grecs peinant à rentrer chez eux. Quant au malheureux Œdipe, c’est en voulant trouver l’origine de la peste qui frappe l’ensemble de la ville de Thèbes qu’il découvre sa propre identité. On pourrait aussi évoquer Batman, mais disons, pour résumer, que tout héros, lumineux ou sombre, est un homme qui entreprend de sauver le monde en réglant en même temps un compte personnel.
Encore faut-il que les deux choses soient intimement liées. Or ce n’est pas vraiment le cas dans Eiffel. Ne nions pas le plaisir que nous pouvons éprouver à voir la Tour s’élever, étage après étage, dans ce spectacle de deux heures en grande partie obtenu grâce aux miracles de la CGI. La reconstitution, non seulement de l’édifice de fer, mais aussi du Paris de la fin du XIXe siècle, est extrêmement convaincante. Seulement, le lien entre la construction de la Tour et les retrouvailles de Gustave avec son amour de jeunesse reste, malgré les efforts de la demi-douzaine de scénaristes, extrêmement ténu, pour ne pas dire totalement artificiel. Sans doute parce que – cf. notre compte rendu du livre Eiffel et moi, dû à la première scénariste du film, Caroline Bongrand (https://blog.starfix.fr/2021/07/01/la-tour-eiffel-infernale/) – la partie « femme d’à côté » du récit n’a été à l’origine qu’une invention destinée à séduire des producteurs hollywoodiens. À partir du moment où, dix ans plus tard, ce projet est devenu une production franco-allemande, il eût probablement mieux valu oublier la folle passion de Gustave et Adrienne, et développer les difficultés rencontrés par Eiffel, ingénieur et homme, face aux banquiers et aux hommes politiques (elles sont évoquées, certes, mais bien trop vite).
Chez Dumas aussi, dira-t-on, il y a autant de fiction que de réalité historique et c’est même cet « entremêlement » qui fait pour les lecteurs le charme de ses romans. Peut-être… Mais, contrairement aux épées des mousquetaires, la tour Eiffel est encore là, inscrite dans l’histoire, certes, mais éminemment présente parmi nous, et donc sans cet éloignement qui permet de pardonner les licences poétiques. En un mot, il y a dans cet Eiffel comme un parfum de fake news. Certes, l’approximation et le flou sont très à la mode depuis quelque temps, les autobiographies sont des autofictions et les biographies, des biographies romancées, mais il n’est pas sûr que ces viols de l’Histoire engendrent toujours de beaux enfants.

Maintenant, si l’on a l’esprit légèrement mal tourné, il n’est pas interdit de voir dans cet Eiffel une espèce de grande épopée érotique dans laquelle la Femme est reléguée au second plan – et sur sa demande ! – au profit de cette construction métallique, source pour son créateur d’émois bien plus intenses. La grande scène du film est la jonction des quatre piliers permettant l’établissement du premier étage de la tour. Entrent en jeu à ce moment-là rivets et écoulements de sable où il n’est pas bien difficile de déceler des symboles encore plus clairs que le dernier plan de La Mort aux trousses. Michel-Ange, qui se consolait de la vieillesse en expliquant que l’extinction de la sexualité qu’elle entraînait permettait à l’artiste de se consacrer enfin exclusivement à son art, aurait sans doute eu beaucoup de plaisir à voir ce biopic.
Frédéric Albert Lévy
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