
Par Claude Monnier : Batman revient, une fois de plus, mais ici, Warner et DC ont réellement soigné leur copie : on est clairement aux antipodes de Batman vs Superman et autres sottises puériles.
On peut trouver des défauts à ce nouveau Batman (durée excessive de trois heures ; dernière heure rédemptrice et sentencieuse trop proche de la trilogie Nolan), mais le film a une qualité indéniable : il rappelle une fois pour toutes ce qui constitue la différence entre un grand film de cinéma et une grande série télé. Cette différence, ce n’est pas la violence extrême, ni l’ambition du propos, ni l’intelligence du scénario, ni la présence de stars, ou la qualité de leur jeu, toutes choses désormais présentes sur le petit écran ; cette différence, c’est l’ampleur et la complexité de la mise en scène, la puissance de la musique et des cascades (ici notamment une poursuite automobile sous la pluie, qui nous laisse en état de choc), en somme l’inimitable cachet audiovisuel du cinéma, son épaisseur, son réalisme sensoriel ; le cinéma comme medium particulier qui nous submerge. A ce titre, les deux premières heures de The Batman sont dignes, visuellement, de Se7en et de Blade Runner. Disons-le : la présence continuelle de la pluie, de la nuit, de l’humidité, du fer rongé, des débris, et cette tonalité mordorée/pourrie, nous replongent carrément dans Element of Crime de Lars Von Trier ! C’est dire la réelle impression de fin du monde que génère le film, comme si nous étions passés de l’autre côté… Et cette réussite visuelle, due en grande partie au directeur de la photo Greig Fraser, n’est pas superficielle : comme dans tout travail artistique digne de ce nom, la forme constitue le fond.
Si le réalisateur Matt Reeves est visiblement attiré par les sujets apocalyptiques (Cloverfield et ses deux Planète des singes), il signe ici, dans ces deux premières heures, et de très loin, son meilleur film, voire une manière de chef-d’œuvre, qui impressionne par sa maturité, par son absence de concessions et par sa cohérence ; pensons notamment à ce motif du voyeurisme, par écran interposé, qui contamine le métrage de manière glauque : dès l’ouverture, l’Homme-mystère scrute longuement, à travers ses jumelles, le maire de Gotham, chez lui, au milieu des siens ; puis ce sont des voyous au maquillage cadavérique qui se filment en train de tabasser des quidams et qui regardent leurs vidéos pour le « plaisir », tout comme plus tard l’Homme-mystère filmera sur son portable ses meurtres-châtiments et les diffusera à la ville entière ; ce voyeurisme est aussi et surtout celui de Batman/Bruce Wayne (Robert Pattinson) scrutant longuement Selina Kyle (Zoë Kravitz) dans son intimité, le « héros » se mettant dans la même position que l’Homme-mystère, depuis un immeuble voisin, sous la pluie froide, et avec des jumelles similaires ; notre voyeur va même jusqu’à s’immiscer un peu plus tard dans l’œil de Selina grâce à une lentille numérique, observant ainsi les bas-fonds et la pègre nocturne sans se dévoiler.
Reeves utilise ce motif du voyeurisme pour souligner deux de nos maux contemporains : notre incapacité à nous passer des petits écrans, qui démultiplient les images de manière irréfléchie, pour mieux fuir la réalité, et, corolaire à cette incapacité, notre refus du contact humain. Si l’homme-mystère pousse cette incapacité de contact, cette obsession de l’écran et ce malaise jusqu’à la folie meurtrière, c’est bien sûr Bruce Wayne/Batman qui est le plus pathétique dans cette incommunicabilité, puisque lui entend sauver les gens de la corruption, lui se veut du côté du Bien. Mais n’est-ce pas aussi le cas de l’Homme-mystère, qui cherche à nettoyer la ville de ses péchés ?…
Sur la thématique habituelle initiée par Tim Burton puis renforcée par Christopher Nolan (Bruce Wayne orphelin tourmenté et milliardaire asocial), Robert Pattinson parvient tout de même à se démarquer des interprètes précédents en incarnant un jeune homme aussi cadavérique que les jeunes voyous du début, mais sans maquillage pour sa part : son visage est creusé, livide, sa peau est blanche comme un linceul ; c’est un être vampirique qui a déjà un pied dans la tombe et qui regarde longuement, fixement les autres, dans un mélange d’incompréhension et de nausée.
Batman se reconnaît dangereusement dans l’Homme-mystère. Cette identité est savamment traduite par le compositeur Michael Giacchino : le thème musical de l’Homme-mystère, dérivé glauque et très « Dario Argento » du classique Ave Maria, s’entremêle constamment au glas qui caractérise Batman. Dans les deux cas : deux enfants traumatisés, deux « morts à la vie », ayant déjà connu la fin du monde dans leur cœur.
Nul doute que le Déluge biblique qui menace constamment la ville émane d’eux, au plus profond.
Claude Monnier
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