L’Extravagant Mr. Deeds : le chef-d’œuvre de Capra en coffret collector

Par Claude Monnier : Moins connu aujourd’hui que La vie est belle ou Monsieur Smith au Sénat, L’extravagant Mr. Deeds est peut-être le plus beau et le plus poétique des Frank Capra. Conscient d’avoir un trésor entre les mains, qui plus est en copie restaurée, l’éditeur vidéo Wild Side l’a placé avec soin dans un beau coffret, ciselé par les meilleurs orfèvres : FAL, que nos lecteurs connaissent bien, a écrit un livret extrêmement riche, offrant aussi bien des anecdotes savoureuses sur Capra, Robert Riskin ou Jean Arthur, que des analyses pertinentes sur l’ambivalence du cinéaste, auteur faussement naïf et « gentil » ; le tout illustré par des reproductions, sur papier glacé, des photos de plateau du film. Classieux. Dans les bonus vidéo, le spécialiste Christian Viviani revient en détail sur la carrière entière du cinéaste. Wild Side a même eu la bonne idée d’ajouter une interview de Capra réalisée en 1982, pour la fameuse émission Cinéma, cinémas. Une certaine émotion nous prend alors, face à la sensibilité à fleur de peau du vieil homme qui, visiblement, aurait aimé prendre sa retraite moins tôt…

Nous disions plus haut que L’Extravagant Mr. Deeds était le plus beau et le plus poétique des Capra ; c’est aussi parce que c’est le plus équilibré :  en effet, dans cette histoire d’un jeune homme d’une petite bourgade (Gary Cooper) soudain catapulté à New York à la suite d’un héritage, le cinéaste n’opte pas pour la démonstration philosophique de Horizons perdus et de Vous ne l’emporterez pas avec vous, ni pour la démonstration politique de L’Homme de la rue ou de Monsieur Smith au Sénat, ni encore pour le fantastique allégorique de La vie est belle (toutes ces démonstrations étant géniales, là n’est pas la question), mais opte au contraire pour la suggestion. Sa mise en scène est tellement « invisible », toujours à distance idéale pour saisir l’émotion des êtres, ni trop près, ni trop loin, et sa direction d’acteurs est tellement drôle, jusqu’au moindre figurant, qu’on ne s’aperçoit pas que le cinéaste nous enveloppe dans un cocon un peu vénéneux et presque claustrophobe. C’est au point que l’on retient du film une impression nocturne, alors qu’il y a tout de même beaucoup de scènes diurnes. Mais, hormis les scènes ensoleillées du début à Mandrake Falls, la ville natale de Deeds, les scènes new-yorkaises, y compris les scènes de jour, se déroulent en intérieurs, le tournage en studio accentuant cette impression d’enfermement, de chape. Les décors ont beau être vastes (le palace hérité de l’oncle millionnaire, le restaurant chic, le tribunal à la fin), le héros y étouffe, cherchant à les briser par des réactions imprévisibles, des « cassures de rythme », des anomalies, qui sont autant de mécanismes de défense devant l’absurdité de la vie citadine : glisser sur la rampe du grand escalier, hurler pour faire un écho dans le hall d’entrée, casser la figure à un client moqueur du restaurant chic, refuser d’ouvrir la bouche au tribunal. En fait, ce sont les scènes d’extérieur à New York qui sont essentiellement nocturnes (dans les rues, dans les parcs), mais étant centrales et profondes, elles influencent tout le film : enveloppées de brume, ces scènes de déambulation et de souvenirs d’enfance semblent symboliser l’état de semi-conscience, presque d’hypnose, dans lequel se laisse enfermer Deeds, auprès de la trompeuse Babe (Jean Arthur), journaliste en mal de scoop, qui finit cependant par tomber amoureuse de sa proie. Dès lors, l’histoire avançant, on devine que cette brume quasi surnaturelle au cœur du film est en fait « générée » par l’esprit troublé de Babe, plus que par celui de Deeds. Une superbe manière de faire du fantastique, sans passer par la case de la Cité magique (Horizons perdus) ou celle des anges (La vie est belle).

Le gag savoureux du tribunal (la démonstration du psychanalyste prétentieux, accusant le héros de folie, se retourne soudain contre toute l’assemblée !) nous confirme qu’il faut prendre L’Extravagant Mr. Deeds comme un récit de l’inconscient. Par son jeu volontairement décalé, toujours en train d’observer les autres à la dérobée, avec un regard vif et clair, Cooper nous fait comprendre que Deeds n’est pas un être inconscient mais au contraire un être trop conscient. Ceux qui errent dans les brumes de l’inconscient, ceux qui sont prisonniers, enfermés dans une sorte de cauchemar, les « hommes-Cendrillon », ce sont bien ici les new-yorkais, qu’ils soient riches ou pauvres. La civilisation moderne est leur carrosse. Mais il est vrai que, de formation scientifique, Capra ne pouvait que s’intéresser aux travaux de Freud, dix ans avant tout le monde à Hollywood.

Mieux : avec L’Extravagant Mr. Deeds, et bien avant Bruno Bettelheim, Capra invente déjà, à l’intérieur de son conte de fées, la psychanalyse des contes de fées.

Claude Monnier

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