
Par Claude Monnier : Inconnu en France, culte aux Etats-Unis (certains spectateurs l’ont vu plus de soixante-dix fois !), Nashville Lady est le premier film américain du britannique Michael Apted. Réalisé en 1980, le film retrace le parcours de la chanteuse country Loretta Lynn, de son enfance pauvre dans les Appalaches à son triomphe musical à Nashville. La country n’étant guère prisée en France, cela explique sans doute le faible retentissement du film, malgré un titre français qui fait de l’œil à Robert Altman. D’ailleurs, ce titre français se concentre trop facilement sur la fin (le triomphe, la fortune), alors que le titre original, Coal Miner’s Daughter/la fille du mineur, insiste à raison sur le début, sur les origines. C’est ce qui fait la particularité de Loretta Lynn : son attachement à ses racines ouvrières et à sa région minière du Kentucky. Dans son esprit, elle est avant tout la fille d’un mineur et elle en est fière. Le changement de titre était donc inutile : s’il est un pays où l’on pouvait comprendre cette fierté, c’était bien la France !

Rimini a raison de redonner une chance au film, d’autant que, musique country ou pas, il s’agit d’une des plus belles œuvres d’Apted. Issu du documentaire, le cinéaste observe avec passion et authenticité les us et coutumes des mineurs pauvres du Kentucky dans les années quarante, aussi bien les aspects positifs (l’honnêteté, la décence, l’entraide) que négatifs (l’ignorance, l’isolement, la stagnation). Dans un des bonus, Loretta Lynn, vieille dame qui a gardé le franc-parler de son père, déclare tout de go à Michael Apted venu l’interviewer pour une rétrospective : « Je ne veux plus voir ton film. Il est trop réaliste et ça me fait mal. » Apted n’a pas peur en effet de saisir tous les moments pénibles d’une famille pauvre ou d’un jeune couple marié trop vite, montrant par exemple la nuit de noce douloureuse de Loretta, 15 ans, qui ignore tout du sexe, et qui se voit forcée par son mari immature, Doolittle (Tommy Lee Jones). Dans sa première moitié, le film plonge dans la boue, le froid et la promiscuité, et l’on comprend que Doolittle, qui aime sincèrement Loretta malgré son égoïsme, cherche à s’évader de cette région fermée, poussant sans arrêt la jeune femme à utiliser son talent inné pour le chant. Au tourbillon des enfants innombrables, des mineurs épuisés et des animaux de ferme, succède donc le tourbillon des tournées de plus en plus prestigieuses. Apprécions au passage le rythme soutenu du film et sa concision : en deux heures, toute une vie défile. Aujourd’hui, pour une telle success story qui se déroule sur trente ans, nul doute qu’un metteur en scène prendrait trois heures ! Autre avantage : dans le rôle-titre, Sissy Spacek est aussi crédible en jeune fille qu’en femme mûre (elle recevra un Oscar pour ce rôle). Le fait qu’elle joue tous les âges accentue ce double effet d’accélération et de concentration : le succès de la femme a beau être fulgurant, nous avons toujours sous nos yeux la jeune fille pauvre. Par cette concentration et cette rapidité, Apted a voulu montrer la force étrange de la vie, courant à la fois changeant et immuable. Plus particulièrement, il a voulu montrer la force des femmes, qui survivent souvent à leur mari, malgré leur exploitation.

Cinéaste clairement féministe, Apted a toujours montré des femmes d’exception dans ses films, que l’on songe à Agatha, Gorilles dans la brume, Nell, Blink et même son James Bond trop sous-estimé, Le Monde ne suffit pas. Il est d’ailleurs troublant de constater que ce Bond, à travers le couple Sophie Marceau/Robert Carlyle, reprend la même thématique que Nashville Lady : un couple douloureux et fusionnel, avec un homme un peu médiocre qui pense se servir de sa compagne, mais qui est vite dépassé par elle, tant elle est douée dans son domaine.
Claude Monnier
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