
Par Claude Monnier & FAL : Comme on a pu le voir avec Tron : Legacy et avec Oblivion, le cinéaste-architecte Joseph Kosinski est un adepte de la ligne pure. Pas de gras chez lui, tout est « parfait ». La première séquence aérienne de Top Gun – Maverick, éthérée au sens propre du terme, est comme une profession de foi : elle assimile l’avion expérimental du vétéran Cruise/Maverick à une pure ligne de fuite sur le globe terrestre. Cela tombe bien : tout l’enjeu du film, thématique et formel, est de nier le flétrissement (c’est-à-dire la chute) inévitable du casse-cou sexagénaire. Cruise/Maverick refuse de déposer les armes et veut continuer à jouer au jeune parmi les jeunes, ici en l’occurrence « l’élite de la nation américaine ». Du reste, cambrés, sourire brillant, brushing impeccable, tous ces jeunes pilotes sont en quelque sorte les clones du Cruise/Maverick du premier film et ressemblent à s’y méprendre aux Ken et Barbie va-t-en-guerre de Starship Troopers. Est-ce à dire que Top Gun – Maverick flirte avec le fascisme ?

… Non, ou alors involontairement, dans le sens où il faut bien être un être « supérieur » (11 sur 10 à chaque œil, Q.I. de mathématicien, muscles et poumons en acier trempé… ne cherchez pas, nous sommes recalés) pour pouvoir piloter ces engins surpuissants et supporter l’immense pression physique et psychologique des combats aériens. C’est d’ailleurs là l’un des attraits irrésistibles de Top Gun – Maverick : impossible de nier la force de ces scènes de combat, que ce combat soit pour de faux, à l’entraînement, ou pour de vrai, sur le terrain ennemi. En l’occurrence, ce terrain ennemi est une zone montagneuse dans un pays indéterminé, abritant une base nucléaire illégale. D’une certaine façon, l’abstraction dans laquelle est tenu cet ennemi empêche le mépris de l’autre propre au fascisme et renforce plutôt l’intériorité du combat, qui est essentiellement celui de l’homme contre ses propres limites. Par ce jeu constant entre extériorité et intériorité, Top Gun – Maverick parvient à nous captiver. Mieux encore : à nous émouvoir. Comment ? Par le syndrome d’Icare tout simplement, ce qui nous change des blockbusters Marvel, qui eux s’éloignent de toute gravité. Dans Top Gun – Maverick, la peur de la chute est toujours présente. Cinéaste esthète et contemplatif, Kosinski n’aime pas seulement filmer les ailes de cire, il aime filmer les êtres immobilisés, les silences, les non-dits, à l’image de ces petites scènes où Maverick envoie des SMS à Iceman (Val Kilmer). Pourquoi des SMS ? pourquoi ne pas l’appeler directement ? On le comprend plus tard dans le film. Sans mot dire.
L’autre émotion du film est bien sûr liée au temps qui passe : malgré sa volonté, le casse-cou Maverick/Cruise sait qu’il vieillit et qu’il faudra bien s’arrêter un jour. Le passé le hante, ainsi que l’absence d’héritier. Sous ses yeux, la jeunesse défile. Une génération arrive, la sienne s’efface. Inévitablement. Ce trou béant entre la volonté de l’homme et la triste réalité du temps qui passe est tout personnel. Dans les années 2000, Les Cahiers du cinéma avaient judicieusement rapproché Tom Cruise de Dorian Gray, pour son dédoublement entre jeunesse éternelle et visage régulièrement déformé, abîmé, sur la toile. Il y a en effet une angoisse existentielle chez Cruise, une angoisse de vieillir que le style épuré de Kosinski accroît encore plus. Mais cette rigueur, cette raideur même, qui cachent la peur du flétrissement et du Néant, n’exclut pas l’amusement. Ainsi, avec Top Gun – Maverick, le cinéma de Howard Hawks n’est jamais loin, ce qui est très agréable, surtout à notre époque où le cinéma de Hawks disparaît peu à peu, lui aussi. Qui dit Hawks dit en effet fuite devant le Néant, mais dit aussi humour et stoïcisme. Dans Top Gun – Maverick, ce sont les réunions festives entre membres de l’équipe, où l’on essaie d’oublier, par le jeu, la mort prochaine ; c’est aussi cette compagne endurcie (Jennifer Connely) qui ne fait pas de cadeau à son homme. Autrement dit : par le biais de ces jeunes et de cette femme, Cruise/Maverick en prend plein la figure, mais il reçoit les coups avec humour et sérénité. On le défenestre, on le met de côté, mais il en profite pour observer les autres, longuement. Privilège de la vieillesse… Un jeune maverick est peut-être un rebelle, un vieux maverick est un sage.

Oui, un sage, dans la mesure où son insupportable prétention d’insoumis – celle-là même qui lui fait pousser au-delà de Mach 10 un appareil qui n’a jamais été conçu pour atteindre une telle vitesse – l’entraîne dans une dialectique égalitaire : il n’entend pas seulement s’acquitter de sa mission, il veut aussi – à la différence de ses supérieurs hiérarchiques qui acceptent d’emblée le principe d’un certain coefficient de pertes – ramener à la maison tous ses hommes (ici, boys and girl). Ce qui l’oblige à réaliser certains retournements : à faire du moins bon de ses élèves le meilleur d’entre eux, à faire de tous des maîtres qui dépasseront le maître qu’il est lui-même, à les amener à devenir chacun le maître de leur maître. « I am not a teacher », dit-il au départ. Il se trompe : il peut enseigner ce que tout enseignement, qu’il soit prodigué par un professeur ou par un parent, est censé apporter – l’émancipation, et donc l’art de la désobéissance (mais bien sûr, et c’est ce qui rend la tâche si difficile et si délicate, de la désobéissance intelligente). Autrement dit, très vite, il est impossible, absurde même, de prétendre distinguer entre intérêt personnel et intérêt commun. À son supérieur qui s’étonne de le voir laisser jouer ses hommes au ballon sur la plage au lieu de leur apprendre à piloter un avion, Maverick répond qu’il entend créer, à travers ce jeu de ballon, une chose aussi importante que la maîtrise technique d’un appareil : l’esprit d’équipe. (1)
Et, miracle, cet esprit, une fois installé horizontalement, se perpétue verticalement. L’amitié est plus forte que la mort. C’est ce que nous indiquent, outre une scène centrale que nous avons évoquée plus haut, le premier carton du générique initial et le premier carton du générique final : Don Simpson est mort il y a vingt-six ans, mais Top Gun – Maverick n’en est pas moins une production Don Simpson-Jerry Bruckheimer, et Tony Scott, qui devait réaliser ce film, s’est suicidé il y a dix ans, mais il est toujours là.
Claude Monnier & FAL
(1) On pourrait rapprocher cette réplique de Maverick d’une déclaration d’un autre maverick, John Cassavetes, qui expliquait que, contrairement à d’autres réalisateurs qui voulaient faire le meilleur film possible, lui avait d’abord et avant tout pour ambition de faire du tournage, pour lui-même et pour ses comédiens, une suite de bons moments passés ensemble. Autrement dit, la force du cinéma de Tom Cruise est peut-être qu’il parvient à réaliser la fusion entre film d’auteur et film hollywoodien. Inutile d’ailleurs de préciser que Top Gun – Maverick peut être vu à bien des égards comme une métaphore du cinéma : élaboration d’un scénario, casting, répétitions, imprévus pendant le tournage et improvisations nécessaires, heurts entre le réalisateur (Maverick) et les producteurs (officiers supérieurs) et que c’est probablement cet aspect métaphorique qui fait passer sans difficulté un certain nombre d’invraisemblances.
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