Le Plombier de Peter Weir, en cas de fuite, ne l’appelez pas !

Par Claude Monnier : Téléfilm à petit budget réalisé entre La Dernière Vague et Gallipoli, Le Plombier n’en est pas moins une œuvre importante pour comprendre la mentalité profonde de Peter Weir. Le film, que ESC sort en coffret avec Les Voitures qui ont mangé Paris, est en effet un huis-clos délirant qui relate le duel psychologique entre une étudiante en anthropologie (Judy Morris) et un jeune plombier (Ivar Kants), qui débarque chez elle sans prévenir, s’incrustant avec un sans-gêne inouï pour, dit-il, « régler des problèmes de tuyauterie au niveau de la salle de bain ». L’homme se présentant comme « le plombier de la résidence », la locataire (trop) bien élevée n’ose pas s’opposer à l’intervention. Mais le comportement de l’ouvrier est d’emblée ambigu : à la fois sympathique et inquiétant, il semble prendre un malin plaisir à détruire la salle de bain, jour après jour, créant un chantier cauchemardesque, digne de celui de Bob Hoskins dans Brazil ! Vision à la fois effrayante et drôle, quasi-freudienne : le plombier têtu en vient même à entrer par le plafond défoncé quand la locataire refuse de lui ouvrir la porte ! Son intérieur étant sans cesse violé, la jeune anthropologue « bien comme il faut », délaissée par un mari égoïste et toujours ailleurs, sombre alors dans la paranoïa et l’agressivité…

Le Plombier clôt la première partie de l’œuvre de Weir, fondée sur l’étrange, voire sur le fantastique pur, au sens d’hésitation entre surnaturel et folie. Ici, on ne sait jamais si le jeune homme est un anarchiste anti-bourgeois ou un psychopathe diabolique, cousin du camionneur de Duel. Comme dans le célèbre « téléfilm » de Spielberg, la gratuité de l’agression révolte le spectateur impuissant et accentue le malaise ; car évidemment, bien éduqués comme nous sommes et étant dépendants du cher plombier, nous nous reconnaissons tous en Judy.

Après ce Plombier, qui fait écho aux Voitures qui ont mangé Paris par son aspect satirique, Weir prendra le large et entamera un beau cycle d’aventures réalistes : Gallipoli, L’Année de tous les dangers, Witness et Mosquito Coast. Et il faudra attendre Truman Show pour retrouver totalement cette veine grinçante. Notons toutefois que la critique du mode de vie petit bourgeois, et cette idée de monde qui s’écroule, sont présentes dans toute son œuvre, même dans ses films les moins forts : Green Card, notamment, semble un remake, sous forme de comédie romantique, du Plombier : ou comment un homme sans manières remue de fond en comble l’existence d’une femme coincée.

C’est que Weir est issu des sixties : Les chemins de la liberté, le titre de son dernier film, pourrait être le sous-titre de toute sa filmographie. De fait, tous les films de Weir présentent des êtres enfermés dans un espace absurde, stérile ou aliénant, symbole de la culture occidentale (dans Le Plombier, c’est l’immeuble moderne où vit l’héroïne). La confrontation avec une culture autre permet d’entrevoir la liberté, mais le plus souvent, et c’est en quoi le cinéma de Weir est perturbant, le protagoniste ne parvient pas à s’évader : pensons à la fin de Pique-nique à Hanging Rock, de La Dernière Vague, de Gallipoli, de Mosquito Coast ou aux jeunes suicidés du Cercle des poètes disparus et de Master and Commander. C’est dans cette tristesse et ce trouble que Weir est le meilleur. Et à l’intérieur des œuvres plus « optimistes », l’évasion est toute relative : que deviendra le policier de Witness ou le professeur du Cercle des poètes disparus ? que deviendra Truman ?…

Dans Le Plombier, cette incarcération du protagoniste weirien est accentuée par un découpage nerveux et extrêmement varié à l’intérieur de l’appartement exigu, découpage qui épouse à merveille le duel physique et psychologique des deux protagonistes, qui se scrutent sans cesse, et accroît l’effet « cocotte-minute » du film. On trouvera un écho encore plus justifié de ce découpage paranoïaque dans la multi-angularité de Truman Show, le héros étant observé de toutes parts. Et ici comme là, l’humour est toujours au rendez-vous (le plombier jouant de la guitare au milieu du chaos !), humour absurde, à la fois politesse du désespoir et marque de l’aisance suprême du conteur, l’un des meilleurs de notre temps.

Claude Monnier

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