
Par FAL : Les horreurs qui se déroulent actuellement dans des contrées peu lointaines nous incitent à revenir sur le film de De Palma Outrages ( cf article : https://blog.starfix.fr/2022/02/02/outrages/ ), ou plus exactement à dire un mot de l’article du journaliste Daniel Lang qui l’avait inspiré. Publié à l’origine dans le New Yorker, ce long article a été depuis édité sous la forme d’un livre, intitulé en anglais, comme le film, Casualties of War, et en français Incident sur la colline 192 (toujours disponible aux éditions Allia).

Comme De Palma, quelles que soient ses qualités, ne fait pas toujours dans la dentelle, on a tendance à penser, en voyant son film, qu’il a dû « en rajouter ». On se trompe. La réalité n’est pas loin d’être deux fois plus horrible que sa transposition sur l’écran. L’article de Daniel Lang se compose en effet de deux parties d’égale longueur. La première – on le devine – est consacrée au viol et à l’assassinat de la malheureuse jeune Vietnamienne, mais la seconde décrit ce que le film, peut-être pour des raisons qu’on dira diplomatiques, ne fait que suggérer dans ses dix dernières minutes – les ennuis du soldat (interprété par Michael J. Fox) qui refusa de participer au crime collectif. Lorsqu’il décide de rendre compte de l’affaire à ses supérieurs, au nom d’une morale qu’il croit être celle-là même de l’armée à laquelle il appartient, il rencontre dans un premier temps indifférence, et dans un second hostilité déclarée. Le premier officier auquel il s’adresse est un Noir qui lui conseille de tout oublier. Lui aussi a été en proie à un désir de révolte indicible le jour où sa femme a dû accoucher dans un couloir de l’hôpital où il l’avait amenée, l’ensemble du personnel estimant qu’une femme enceinte ne constituait en aucun cas une priorité dès lors qu’elle avait la peau noire. Puis, explique-t-il, il s’est vite calmé : le monde était ainsi fait ; ce n’est pas lui qui allait le changer. Tout en saluant la noble vertu de ce jeune soldat, il lui conseille donc d’oublier au plus vite ce dont il a été témoin. Et quand ce jeune soldat s’obstine et s’en va rendre compte de la chose à d’autres supérieurs, c’est tout juste si les rôles ne sont pas inversés. Le coupable, c’est lui. Coupable parce que traître. Coupable parce qu’il ose révéler que l’armée n’est pas toujours conforme à l’image qu’on entend donner d’elle auprès du public. Certes, arrive un moment où l’on ne peut plus étouffer l’affaire et les vrais coupables sont finalement traduits en justice, mais les peines assez lourdes auxquelles ils sont initialement condamnés sont peu à peu réduites à trois fois rien, leurs avocats s’ingéniant à trouver ici et là des vices de forme qui conduisent à des révisions. Le meneur de la bande a pu ainsi poursuivre sa carrière dans l’armée comme si de rien n’était.
Nous ne saurons pas le vrai nom du « rebelle ». Le journaliste Daniel Lang a jugé plus prudent de l’affubler d’un bout à l’autre de son récit d’un pseudonyme, pour lui éviter de continuer d’être la cible de patriotes bien-pensants.
Ce que, sauf erreur, le film ne dit pas non plus, c’est que la sœur de la victime a elle aussi été enlevée quelque temps plus tard. Mais, elle, par les Vietcongs, qui, selon toute probabilité, lui firent subir un sort analogue. Ce qui fait dire à notre soldat : « Pourquoi dit-on que Charlie [surnom générique que les soldats américains donnaient aux Vietcongs] est notre ennemi, quand lui et nous faisons exactement la même chose ? »
Frédéric Albert Lévy
P.S. – Sur le titre français Incident sur la colline 192. Le mot incident est de plus en plus employé en français à tort et à travers par des journalistes qui se contentent de copier-coller de l’anglais. Mais incident n’a pas le même sens en français et en anglais. En français, le mot désigne un événement généralement sans grande conséquence, qui ne saurait en tout cas s’appliquer au massacre de vingt écoliers comme il peut le faire en anglais. Mais ici le titre Incident sur la colline 192 est assez judicieux si on en perçoit l’ironie. L’assassinat d’une malheureuse paysanne vietnamienne, ce n’est jamais, pour l’establishment, qu’un « incident ». (Dans le même désordre d’idée, il n’est pas interdit de lire et d’écouter la chanson d’Hughes Aufray « Fleur d’oranger » – https://youtu.be/G64dUXvcPzM – https://tipaza.typepad.fr/mon_weblog/2018/11/guerre-dalg%C3%A9rie-plus-jamais-%C3%A7a-.html )
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