Solo, un polar de Mocky à redécouvrir d’urgence

Par Claude Monnier : Ceux qui pensent que Jean-Pierre Mocky est un metteur en scène « brouillon » doivent absolument voir Solo (1970), polar impeccablement filmé, qui file droit dans la nuit. ESC nous permet d’apprécier cette œuvre essentiellement nocturne dans une belle copie restaurée, avec force témoignages (Eric Le Roy, l’assistant de Mocky, Anne Deleuze, son actrice, et Mocky lui-même, un an avant sa mort).

Mocky entreprend Solo dans le sillage de mai 68, alors que certains jeunes, déçus par le retour au calme bourgeois, décident de se radicaliser. Il imagine un groupuscule anarchiste qui s’en prend spécifiquement aux parties fines des gens haut placés, n’hésitant pas à tirer dans le tas, massacrant sans distinction vieux pervers et jeunes prostituées. Comme Mocky trouvent les anarchistes et les bourgeois aussi bêtes les uns que les autres, il choisit intelligemment de raconter son récit « de biais », à travers le regard d’un trafiquant de bijoux ironique et désabusé, Vincent Cabral, qu’il interprète avec sa belle gueule d’ange déchu, dans un look à la Bogart (le cinéaste-acteur poursuivra cette veine « bogartienne » dans L’Albatros et Le Piège à cons). Cabral comprend vite que son jeune frère est le leader de la bande d’anarchistes. Il décide alors de le retrouver pour le ramener à la raison. Mais il ne parvient pas à l’approcher, il a toujours un train de retard et, à force de le suivre à la trace, à force de passer partout où son jeune frère est passé, la police finit par les confondre et voit Cabral comme l’ennemi n°1 à abattre.

On reconnaît ici le transfert de culpabilité qui est à l’œuvre dans bien des Hitchcock, transfert que Joseph Losey reprendra de manière glaçante dans Monsieur Klein et qui trouve sans doute son origine dans le génial William Wilson d’Edgar Poe. Mais si les protagonistes de Poe, de Hitchcock et de Losey refusaient désespérément d’être confondus avec leur double, vivant un vrai cauchemar, la grande beauté de Solo est que Vincent Cabral accepte volontiers cette confusion, par amour pour son jeune frère. Car ici évidemment, le double est un frère… au sens propre : ils ont la même éducation, les mêmes habitudes culinaires et ils plaisent à la même jeune femme. Ce duo est en fait un solo, qui se joue sur une douce ballade de Georges Moustaki, tout en murmures. Douceur de l’acceptation…

L’issue du récit, tragique vous vous en doutez, est d’autant plus belle que le cadet ignore depuis le début que son aîné est à sa poursuite et qu’il a pris sa place. Ainsi, la seule fois où il aperçoit son double âgé, son frère de sang, c’est à la toute fin, sur le quai d’une gare, au moment où Vincent tombe sous les balles de la police. Mais pour le jeune Cabral, il est trop tard pour comprendre : le train, dans lequel il s’est réfugié, continue de filer dans la nuit, comme le film.

Claude Monnier

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