Occhiali neri: le retour de Dario Argento

Par Claude Monnier : Présenté tout récemment à la Cinémathèque dans le cadre d’une rétrospective Argento, Occhiali neri, le nouveau giallo du maître, mériterait une sortie nationale : ce n’est sans doute pas un chef-d’œuvre comme Les Frissons de l’angoisse mais c’est un très bon thriller, à l’élégant cinémascope, proche, par sa forme, son thème et son humanité, du Chat à neuf queues.

Les lunettes noires en question ne sont pas celles du maniaque, comme on pourrait s’y attendre, mais celles de l’héroïne, Diana (Iliena Pastorelli), une call-girl devenue aveugle à la suite d’un carambolage provoqué par un tueur en série qui la pourchassait. A sa sortie de l’hôpital, et malgré son handicap, la jeune femme prend sous son aile un jeune orphelin asiatique (Xinyu Zhang), qui a perdu ses parents dans l’accident. La vie reprend son cours pour les deux victimes mais le tueur fou ne tarde pas à réapparaître…

Avec beaucoup de rigueur, et parfois une certaine poésie, Argento fonde son film sur la profonde solitude des innocents et sur leur trouble face à la noirceur du cosmos. Dès la scène d’ouverture, avant la tragédie, le regard de l’héroïne se concentre sur la cime des arbres, qu’elle observe en conduisant lentement à travers la banlieue romaine. Très joliment filmée de profil, pensive, lointaine, Diana est clairement attirée par le ciel, par le haut, elle est en quête d’autre chose que cette vie bassement matérielle, mais cette lumière est bien vite altérée par une éclipse. Un peu hagarde, Diana semble ne pas comprendre pourquoi les passants s’extasient devant cette tache noire qui recouvre le soleil. Soudain plongée dans des ténèbres qui annoncent hélas de ce qui l’attend, la jeune femme solitaire note également que les chiens aboient dans un mélange de peur et de rage. Cut.

Comme souvent avec Argento, qu’on accuse à tort d’être un pur formaliste, Occhiali neri repose d’abord et avant tout sur son personnage féminin et son actrice. Le cinéma opératique d’Argento a souvent eu en son centre une muse, qu’elle se nomme Jessica Harper, Jennifer Connely ou Asia Argento. Ici, l’actrice Iliena Pastorelli est superbe de bout en bout, superbe physiquement et moralement : le Bien émane d’elle, sa cécité devient compassion, sa vulnérabilité devient grâce. Son innocence et sa solitude sont redoublées par l’orphelin qu’elle protège. Ainsi, la jeune femme et l’enfant ne comprennent pas la violence qui s’acharne sur eux. Le tueur qui les persécute est presque un phénomène cosmique. Mi-homme, mi-bête à force de vivre avec les chiens, il est le représentant de la Nature hostile. Le motif de la végétation agressive intervient dès le début du film, avec la première prostituée étranglée et secouée violemment dans un bosquet : le tueur n’apparaissant pas à l’image, il semble que c’est le bosquet qui assassine la jeune femme. Le motif se poursuit lors de la longue course nocturne dans la campagne romaine, avec sa végétation oppressante, puis est redoublé par la séquence des serpents dans le marais, les reptiles voraces s’agitant comme l’herbe sauvage. Le corps noir de la Lune, qui recouvre le soleil dans l’éclipse inaugurale, était déjà une annonce de cette dévoration constamment à l’œuvre dans le cosmos. Noir qui recouvre aussi les yeux de l’héroïne.


Tous ces éléments (la lune, l’aveugle, le chien, l’égorgement) étaient déjà présents dans Suspiria, mais ce qui change ici est le sentiment de pitié que dégage le film. Ainsi, dans Occhiali neri, et loin de la froideur d’autrefois, les témoins pleurent toujours de compassion devant les victimes des atrocités. Comme si la bonté de l’héroïne, vraie madone, irradiait l’environnement, les personnes… et même les bêtes. Comme si elle était le contre-pouvoir salvateur face aux ténèbres.

Claude Monnier

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