Si j’étais un espion

Par FAL : Le premier long métrage réalisé par Bertrand Blier, sorti en 1963, était un documentaire intitulé Hitler, connais pas. Titre, on en conviendra, quelque peu paradoxal puisque la fonction première d’un documentaire est de nous faire découvrir la réalité et qu’ici tout était centré autour de jeunes gens se moquant éperdument de savoir ce qui avait pu se passer pendant la Seconde Guerre mondiale, alors même qu’ils étaient nés juste après, sinon pendant, la période ’39-’45. Mais la « réalité » est ainsi : la Terre est ronde, mais nous savons que des dizaines de milliers d’Américains sont persuadés qu’elle est plate, et ces braves gens qui nient la réalité ne sauraient être superbement ignorés puisqu’ils font eux-mêmes, qu’on le veuille on non, partie intégrante de la réalité. Cela s’appelle l’absurde.

Quatre ans plus tard, le même Bertrand Blier réalisait son second film, intitulé Si j’étais un espion (le B-r/DVD sort cette semaine chez Pathé). C’était cette fois un film de fiction, mais qui apparaissait d’une certaine manière comme le pendant, ou la version en creux, du précédent : cette fiction entendait en effet dénoncer une fiction, celle des films d’espionnage à grand spectacle qui commençaient alors à envahir les écrans. En un mot, ce Si j’étais un espion aurait pu tout aussi bien s’appeler James Bond, connais pas.

Car le protagoniste de cette histoire ne s’habille pas à Savile Row et porte encore moins un Walter PPK. C’est un paisible médecin de quartier – rôle que Bertrand Blier avait confié à son père, Bernard – dont la seule faute est d’avoir pris un jour un verre avec un individu rencontré dans un bar lors d’un voyage en Pologne et d’avoir quelquefois revu celui-ci à Paris, mais comme patient. L’individu en question a disparu. Une organisation – les services secrets ? – est à sa recherche et colle aux basques de notre médecin dans l’espoir de retrouver sa trace. Aucune liberté de manœuvre n’est laissée à notre héros malgré lui : on lui impose même à demeure, nuit et jour, un chaperon (Bruno Cremer) et on menace d’enlever sa fille si l’idée lui venait de ruer dans les brancards.

Cette histoire qui n’en est pas vraiment une, c’est donc un peu Le Grand Blond avec une chaussure noire avant la lettre, à ceci près qu’on ne rit pas une seconde, l’absurdité de la situation ayant ici pour corollaire la mort, ne serait-ce que parce que tous les personnages qui défilent jouent un rôle dont ils ignorent le sens – c’est probablement ailleurs, plus haut, qu’on tire les ficelles. Et s’il n’est pas totalement exclu que notre médecin de quartier soit un peu plus qu’un médecin de quartier et que le visage de gros bébé innocent de Bernard Blier ne soit qu’une façade, il est clair en tout cas que son chaperon est lui-même souvent dépassé par les événements. D’adroites ellipses dans le récit et dans la mise en scène viennent souligner le côté kafkaïen de l’affaire.

La vision de l’espionnage proposée dans Si j’étais un espion est certainement plus conforme à la réalité que celle de n’importe quel eurospy de la seconde moitié des sixties, mais, pour les cinéphiles, son intérêt premier est de poser d’emblée ce principe de désordre tranquille qui plaît ou ne plaît pas, mais qui a conduit certains critiques à employer à propos du cinéma de Blier l’adjectif « buñuelien ».

Frédéric Albert Lévy 

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