Le temps des secrets

Par FAL : C’est sauf erreur Pierre Kast, Cahiériste du Cinéma un peu oublié aujourd’hui, qui avait posé un jour le principe selon lequel toute œuvre littéraire quelle qu’elle soit, y compris L’Esprit des lois de Montesquieu, pouvait être adaptée au cinéma. On ne se lancera pas ici dans des développements fumeux sur le difficile équilibre entre fidélité et trahison qu’implique cet exercice de transposition, d’autant plus que la question ne se pose pas uniquement pour le cinéma (Zola, tout Zola qu’il était, avait-il le « droit » de produire une version théâtrale de son roman Germinal ? était-il permis à MM. Boublil et Schönberg de faire des Misérables une comédie musicale ?). Toute œuvre populaire semble être vouée à se réincarner sous différentes formes ; son essence même est en grande partie dans ces avatars.

Signalons malgré tout un cas de figure un peu complexe – celui de l’adaptation d’un ouvrage qui ne raconte pas à proprement parler une histoire, mais qui entend simplement offrir une chronique. Tel est le cas du Temps des secrets, troisième volet des souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol. On sait que les deux premiers, La Gloire de mon père et Le Château de ma mère, avaient été portés à l’écran avec succès par Yves Robert. Trente ans plus tard, c’est Christophe Barratier, le réalisateur des Choristes, qui a eu pour mission de prolonger l’aventure.

Christophe Barratier lors du tournage du Temps des secrets — Jean-Claude Lother / Lionceau Film


Au risque de marcher trop fidèlement sur les pas de son prédécesseur ? Comment pourrait-il en être autrement, puisque le décor, celui de la Provence, reste le même, avec les mêmes parfums ? La maison qui a servi pour le tournage du Temps des secrets est, comme de juste, celle qui avait été utilisée dans les films précédents. Mais, comme l’expliquent dans les bonus du B-r/DVD (à paraître chez Pathé le 27 juillet) Christophe Barratier et Guillaume de Tonquédec (qui interprète dans le film le père du petit Marcel), il n’y avait pas vraiment de risque de redite : Le Temps des secrets n’est pas – comme l’étaient les deux premiers livres de souvenirs – une évocation de l’enfance ; c’est bien plus une évocation de la fin de l’enfance.

Cet élément garant d’originalité s’accompagnait malgré tout d’une difficulté majeure. Sauf exception, le passage de l’enfance à l’adolescence ne se fait pas à la suite d’un gigantesque traumatisme ; il est généralement la conséquence de diverses petites désillusions (découverte de la fragilité des apparences – par exemple, du fait que les parents ne s’entendent pas en réalité aussi bien qu’on pouvait le croire ; premier chagrin d’amour ; hostilité et cruauté de camarades de classe…). Désillusions qui finissent par s’accumuler, mais qui ne se produisent évidemment pas toutes en même temps. Dans un livre, cette discontinuité n’est pas gênante, puisqu’elle correspond le plus souvent à la pratique du lecteur, qui avale rarement trois cents pages d’une traite et interrompt sa lecture le soir pour ne la reprendre que le lendemain. Mais pour un film, qui – même si, avec les nouveaux supports, les habitudes changent – est censé être appréhendé dans sa totalité, sans interruption de la première à la dernière image, c’est une autre affaire. Il convient d’introduire une progression, au moins en apparence, sinon on risque fort de se retrouver devant un film à sketches.

Et c’est un peu ce qui arrive avec ce Temps des secrets. Nous avons souvent l’impression d’assister à une succession de scènes, la transition de l’une à l’autre étant assurée par de longues promenades, un peu répétitives, de la caméra à travers le paysage provençal. Bien sûr, ces séquences « écologiques » – qui résonnent étrangement en ce moment même du fait des incendies de forêt – sont l’écho direct des nombreuses descriptions qui ponctuent le texte original de Pagnol, mais, chez Pagnol, entre autres parce qu’il écrit à la première personne, ces pages descriptives font corps avec le reste… et avec les personnages.

Malheureusement, ceux-ci sont souvent extrêmement caricaturaux dans le film de Barratier. Peu importe que les enfants jouent faux, puisque des enfants qui jouent faux le font toujours avec sincérité. Mais ce qui ne va pas, ce sont ces phrases interminables, ces aphorismes de vieux philosophes qu’on leur fait débiter dès le début et qui ne laissent aucune place pour cette progression, pour ce passage de l’enfance à l’adolescence qui devrait être le thème central du film. Quant aux adultes, c’est un peu l’inverse : ils semblent assez souvent ânonner leur texte avec l’application des enfants (avec un accent du midi qui, quoique mesuré, n’arrange rien). On retiendra (on oubliera) en particulier une réunion de féministes avant la lettre dans laquelle l’éloquence sententieuse des oratrices est à peu près aussi convaincante que celles de nos pires dirigeants syndicaux.

Bien sûr, Raimu, Fernandel et Cie en faisaient eux aussi des tonnes dans les films réalisés par Pagnol lui-même et nous voyons peut-être des défauts là où il convient de voir un hommage sincère au temps passé. Peut-être… Mais, tout comme les vrais mémoires sont d’outre-tombe, les vrais souvenirs ne sauraient s’écrire qu’au présent. Ce que le dernier plan du film essaie de faire, mais un peu tard.

Frédéric Albert Lévy 

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