
Par Claude Monnier : Attention OFNI – sans crier gare, alors qu’on le pensait en pleine gestation du prochain Mad Max axé sur Furiosa (dont le tournage a finalement débuté il y a quelques semaines), George Miller a présenté au dernier Festival de Cannes un nouveau film, pour le moins délirant, que le distributeur Metropolitan FilmExport nous permet heureusement de découvrir sur grand écran : une universitaire réputée, spécialisée dans le monomythe, et par ailleurs célibataire endurcie (Tilda Swinton), découvre chez un antiquaire d’Istanbul une fiole mystérieuse. De retour à sa chambre d’hôtel, elle décapsule l’objet, par simple curiosité. Emerge alors un Djinn gigantesque (Idris Elba), ou génie, qui, comme le veut la tradition, lui accorde trois vœux pour la remercier de cette libération. Mais l’universitaire, spécialiste en contes et légendes, connaît bien sûr l’issue de ce type de récit et n’a pas confiance. Pour prouver sa bonne foi, le Djinn (qui a pris taille humaine pour ne pas trop abîmer la chambre) raconte ses multiples déboires à travers les âges, toujours victime des humains capricieux, depuis l’époque du roi Salomon, désirant conquérir la reine de Saba, jusqu’à l’époque de l’Empire ottoman. Et Miller de nous offrir de multiples plongées virtuoses dans les déserts farouches et les palais luxuriants de l’ancien temps. La célibataire revêche commence alors à tomber sous le charme de son génie oriental…
Bien que rempli d’images fabuleuses, le film est essentiellement une histoire d’amour, fondée sur la profonde solitude de deux êtres recroquevillés sur eux-mêmes (au sens propre pour le pauvre Djinn !). Pour raconter cette histoire, Miller oppose en apparence deux modes de filmage : le champ-contrechamp délicat entre les deux personnages dialoguant dans la chambre d’hôtel et les plongées dans le passé grandiose avec une caméra superbement « immatérielle », épousant les multiples déambulations en apesanteur (et en vue subjective) du Djinn. Mais en réalité ces deux modes n’en sont qu’un : ils suggèrent tous deux, à leur manière, la solitude et la mélancolie. Le champ-contrechamp est un procédé parfait pour exprimer à la fois la séparation méfiante et la volonté désespérée de rapprochement entre ces deux êtres ; il établit une ligne qu’il leur faudra briser pour s’épanouir. Le travelling aérien « immatériel » traduit l’errance perpétuelle du Djinn, aussi impalpable qu’un fantôme, et tristement séparé des humains pour cela. Comme pour Fury Road, Miller a fait appel au légendaire chef-op John Seale pour capter aussi bien la lumière aseptisée de l’hôtel moderne que la lumière ambrée des palais ancestraux. Dans cette volonté de rapprochement qui est celle de tout le film, Miller et Seale parviennent à unifier ces deux espaces opposés par un élément commun : les grains de poussière qui voltigent tout autour du Djinn. Poussière qui rappelle évidemment la destinée humaine et l’inévitable remplacement des générations, ce roulement étant source de mélancolie pour cet être Immortel qui ne peut s’empêcher de s’attacher à notre « étrange espèce ».

Ce qui nous rapproche, ce qui nous soude… C’est l’obsession depuis toujours de George Miller, cinéaste de la communauté (la saga Mad Max, Les Sorcières d’Eastwick, Lorenzo, Babe, Happy Feet). En tant que conteur de premier ordre, il a compris que cette communion entre les êtres humains ne repose pas tant sur l’amour – nous sommes trop égoïstes pour cela – que sur le langage, la communication, le fait de nous raconter des histoires, vraies ou fictives, peu importe (ce sont d’ailleurs toujours les mêmes, qu’on prend plaisir à varier, et ce depuis trois mille ans). Avec Les Sorcières d’Eastwick, Miller avait déjà confronté la Femme moderne au Démon venu du fond des âges. Mais le Diable incarné par Jack Nicholson voulait ardemment diviser, comme le veut l’étymologie de son nom. Le Djinn, en tout cas ce Djinn, est un vrai romantique qui recherche sincèrement l’union des contraires.
Si, malgré sa magistrale mise en scène, 3000 ans à t’attendre est moins satisfaisant, ou disons moins attirant que Les Sorcières d’Eastwick, c’est sans doute à cause de cette absence d’ironie mordante, et peut-être aussi tout simplement parce que Tilda Swinton, dans le rôle de la femme délaissée, dégage moins de charme et de sympathie que Michelle Pfeiffer ou Susan Sarandon.
Claude Monnier
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