
Par Claude Monnier : L’Australien Fred Schepisi est un réalisateur peu connu du grand public. Tellement peu connu que, lors de la présentation d’Un cri dans la nuit au Festival de Cannes en 1988, il fut refusé par les vigiles à l’entrée de la salle ! C’est ce que l’intéressé nous rapporte avec humour dans le bonus de cette édition. La grande différence des genres abordés tout au long de sa carrière (du western Barbarosa à la comédie fantaisiste I.Q., en passant par le mélodrame Plenty ou l’espionnage romantique de La Maison Russie) n’aide pas à « saisir » Schepisi. La constante de ses films, s’il était besoin d’en établir une, serait, outre une tendance à la chronique douce-amère, une direction d’acteurs subtile, une certaine grâce, une certaine fluidité dans la réalisation… C’est déjà beaucoup, me direz-vous !
Avec Un Cri dans la nuit (titré Evil Angels en Australie), Schepisi a voulu dénoncer les préjugés, ce que les gens ont envie de voir, loin de toute vérité. Le film retrace minutieusement le fait divers qui a le plus divisé l’Australie durant les dernières décennies : l’affaire Lindy et Michael Chamberlain, qui commence en 1980, dans un camping au pied du mont Uluru. Une nuit, Lindy (Meryl Streep) voit son bébé, qu’elle vient de déposer sous la tente, emporté par un chien sauvage (ou dingo). Personne ne la croit, faute de preuve suffisante, et, bien vite, on l’accuse d’avoir assassiné le bébé, avec la complicité de son mari (Sam Neill). L’appartenance du couple à une communauté protestante fondamentaliste alimente les fantasmes d’« autel sacrificiel » en pleine nature. Que Lindy soit la maman heureuse et aimante de deux autres enfants ne change rien à l’affaire : avec ses cheveux « noir corbeau » coiffés en carré et son air sévère, elle passe pour une demi-folle et sera au bout du compte traînée en justice.
Schepisi construit ici un film d’une fausse douceur, comme souvent chez lui. Douceur trompeuse du crépuscule, qui annonce la nuit… La fluidité de la caméra et du montage ajoute à cette impression de descente inexorable. Discrètement, mais sûrement, le cinéaste joue sur le motif des ténèbres envahissantes : d’abord avec cette nuit noire qui tombe rapidement sur le rocher et précipite le cauchemar pour cette mère affolée à la recherche de son enfant ; ensuite avec cette insistance sur les cheveux noirs de Meryl Streep, cernés par toutes les caméras. Pour le public en mal de sensations fortes, et pétri de clichés, cette « noirceur physique » est forcément en porte-à-faux avec la blondeur angélique de ses deux petits garçons. Elle est interprétée comme un signe quasi démoniaque.

Par le montage rapide sur les diverses réactions de la population australienne, vague de cancans qu’on ne peut arrêter, Schepisi nous fait comprendre que cette fourmilière cruelle participe elle aussi des ténèbres qui s’abattent injustement sur le couple (il faut voir les journalistes regarder le procès comme un match de foot !). Et par sa mise en scène ample, mêlant constamment l’individuel et le collectif, au cœur d’un espace à la fois moderne et sauvage, le cinéaste fait en sorte que ce fait divers australien dépasse le « particularisme régional » pour aller vers l’universel.
Claude Monnier
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