
Par Claude Monnier : On sait que Gloria est l’œuvre la plus « commerciale » de Cassavetes, un polar violent avec une musique (superbe) de Bill Conti, polar entrepris pour se renflouer, après les échecs de Meurtre d’un bookmaker chinois et Opening Night. Cela n’a pas empêché le film de remporter le prestigieux Lion d’or à Venise en 1980, tant sa mise en scène et son interprétation sont puissantes. Car pour commercial qu’il soit, Gloria est d’une sincérité qui prend aux tripes. Cassavetes reste ici ce qu’il a toujours été : un cinéaste de l’étouffement, un cinéaste existentiel. Simplement, tout en gardant sa véracité dans la direction d’acteurs, il change d’échelle : c’est la ville entière de New York qui étouffe les personnages.

Dans le très beau livret qu’ils ont écrit pour cette édition collector Wild Side, FAL et Doug Headline insistent avec raison sur les invraisemblances (ou facilités) de l’intrigue, signalées par beaucoup de critiques dès la sortie du film : pourquoi le père du petit garçon portoricain (John Adames), comptable qui a trahi la mafia, n’a-t-il pas mis à l’abri sa famille bien avant ? Comment cette femme usée, Gloria (Gena Rowlands), ex-call girl, peut-elle se comporter comme une femme-flic de première envergure, violentant et narguant les malfrats avec son colt ? Pourquoi, dans sa cavale avec le petit garçon, tombe-t-elle toujours, où qu’elle aille, sur les membres du gang ? et comment peut-elle « ressusciter » après la fusillade finale ? Bref, tout cela n’est-il pas contradictoire avec le réalisme voulu par Cassavetes, ce New York poisseux pris sur le vif ? FAL et Headline résolvent pertinemment la question en objectant que le film ne se veut pas si réaliste que cela : c’est le fantasme d’une mère en puissance qui apprend à se dépasser pour son enfant. Allons même plus loin : Gloria, comme tous les films noirs, contient une part de fantastique (au sens littéraire d’hésitation) avec cet incroyable Hasard – ou Destin – qui poursuit sans arrêt, en bien et en mal, les protagonistes. Ici, on est tout simplement dans la logique du cauchemar, comme le souligne d’ailleurs l’héroïne lorsqu’elle cherche à éviter le traumatisme chez l’enfant, après le massacre de sa famille : « C’est comme un rêve… Dis-toi que c’est un rêve ». Influencé par le catholicisme de cette famille portoricaine, Cassavetes organise un récit initiatique dantesque, où l’héroïne traverse les cercles de l’enfer pour trouver la rédemption. D’où cette impression de boucle, de surplace, avant la libération finale au cimetière (soit le paradis). Boucle oppressante qui est le fondement de la mise en scène de Cassavetes, alors que Gloria et son protégé sillonnent pourtant la ville de long en large. A ce titre, ceux qui n’ont pas vu le film depuis longtemps, et ceux qui vont le découvrir, vont avoir un choc : caméra prenant à la volée le moindre mouvement des protagonistes, poursuites pédestres ou véhiculées dans les artères surchargées de la ville étouffante, sur terre et sous terre, Steadicam filant à toute allure au milieu de la foule pour suivre les héros désespérés, angles multiples avec cuts violents… Ne cherchez pas plus loin : c’est bien chez Cassavetes que McTiernan est allé chercher les principes de sa mise en scène pour Die Hard With A Vengeance, ce qui rend d’ailleurs ce dernier film encore plus spécial dans le cadre du blockbuster estival. Il n’empêche, Cassavetes ici nous surprend et nous affole : qui pouvait prévoir que ce grand cinéaste intimiste était également un grand cinéaste d’action ?
Claude Monnier
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