
FAL : Le titre The Duke pourrait faire croire aux amateurs de westerns qu’on a affaire à un documentaire sur John Wayne (1), mais la référence cinéphilique est à chercher ailleurs – dans Dr. No, sorti en 1962. On se souvient qu’à un moment donné, James Bond, détenu dans le repaire du méchant, a la surprise de découvrir, posé sur un chevalet, un tableau qui n’est autre que le portrait par Goya du Duc de Wellington. Clin d’œil des scénaristes : ce portrait avait été volé quelques mois plus tôt à la National Gallery et n’avait pas encore été retrouvé ; ils ne résistèrent pas à l’idée d’imputer le vol au méchant docteur. Suprême ironie, la copie qui avait été réalisée pour le film par le chef décorateur Ken Adam fut volée à son tour.

The Duke entend raconter the true facts, autrement dit toute l’histoire du vol du vrai tableau, puisque, à la différence de la copie (restée introuvable), celui-ci fut assez vite restitué par Kempton Bunton, un sexagénaire de Newcastle, qui expliqua qu’il avait perpétré ce forfait uniquement pour forcer le gouvernement à exonérer les petites gens comme lui de la redevance télévisuelle. Son vœu allait être exaucé… quarante plus tard.

Mais rien à voir ici avec Comment voler un million de dollars de William Wyler ou avec le Thomas Crown de John McTiernan. La scène du « casse » est brève et filmée d’une manière volontairement un peu confuse qui permet par la suite un coup de théâtre (conforme lui aussi à la réalité historique). Non, ce Duke est bien plutôt une chronique destinée à présenter différents aspects de la société britannique au début des années soixante. Ce pourrait être sombre comme du Ken Loach ou du Mike Leigh, notre héros (d’ailleurs interprété par Jim Broadbent, vu dans plusieurs films du second) se retrouvant au chômage au bout de quelques jours chaque fois qu’il entame un nouveau job, mais son indéfectible énergie et sa manière quasi héroïque de ruer dans les brancards font de cette histoire une comédie irrésistible, digne héritière de films comme Whisky à gogo ou Tueurs de dames et parfaite illustration de la définition du comique donné par Kant : « Une attente qui se résout subitement en rien ». En rien, oui, puisque la police qui, pour expliquer la disparition du Goya, brandissait le spectre d’un réseau international de trafiquants d’art, voit toutes ses théories s’écrouler quand le coupable se révèle être un malheureux vieillard. En rien quand celui-ci, lors de son procès – car il a bien fallu le traduire en justice, même si son vol n’était qu’un emprunt –, retourne chaque fois par une formule bien sentie – n’est-il pas dramaturge à ses heures ? – toutes les charges portées contre lui. Il sera finalement condamné pour le vol… du cadre du tableau, accessoire disparu à jamais dans la nature.

The Duke a été le dernier film du réalisateur Roger Michell, mort il y a exactement un an (2). On connaissait déjà de lui Coup de foudre à Notting Hill, sorti en 1999, mais, curieusement, il semble qu’en France le reste de sa filmographie, soit une bonne dizaine de titres, ait été largement ignoré, et on se dit qu’il y a certainement une justice à rétablir. Quant à Jim Broadbent, dans ce rôle du vieil ahuri qui met tout le monde dans sa poche, il est éblouissant. Helen Mirren, épouse aimante-mais-non-complice de cet insoumis, prouve ici encore qu’elle peut tout jouer. Et le fait qu’elle incarne une femme de ménage après avoir été une Elizabeth II plus que convaincante dans The Queen est à lui seul comme un résumé de l’Angleterre, « terre de contrastes » où la norme et l’excentricité ne font souvent qu’un.
Frédéric Albert Lévy
(1) John Wayne, Marion Morrison pour l’état-civil, n’aimait guère son vrai prénom. Lorsqu’un voisin, le voyant toujours accompagné de son chien, nommé Duke, s’avisa de le surnommer Little Duke, loin de s’en offusquer, il se réjouit d’être ainsi rebaptisé et, devenu adulte, omit simplement l’adjectif Little.
(Ajoutons, pour être complet, que The Duke a aussi été le titre d’une série américaine de six épisodes diffusée en 1979 et dont le héros était surnommé… « The Duke », ce qui valut à son interprète, Robert Conrad, d’être lui-même surnommé ainsi à l’occasion.)
(2) Si l’on veut être précis, il a tourné avant sa mort un autre film, mais c’était un documentaire sur Elizabeth II.
The Duke, Blu-ray et DVD édités chez Pathé.
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