Hamlet de Laurence Olivier : rencontre de deux génies

Par Claude Monnier : Outre cette suprême éloquence qu’on retrouve dans toutes les pièces de Shakespeare, le génie spécifique de Hamlet, ce qui la distingue de ses autres chefs-d’œuvre, c’est cette sensation d’un espace scénique véritablement hanté : hanté par le fantôme du roi, lâchement assassiné par un frère jaloux, hanté aussi par la mauvaise conscience permanente des personnages principaux : celle du roi usurpateur, celle de la reine, veuve trop peu éplorée, celle du fils, Hamlet, qui n’ose pas se venger directement, par peur de l’échec, par peur de mourir. Dans cette pièce, les planches du théâtre semblent vraiment s’ouvrir aux vents du Nord et à l’immense Nuit, elles contiennent à la fois le château vertigineux d’Elseneur et le cerveau tourmenté des personnages. On peut le dire : cette pièce fait peur. Bien avant Freud, Shakespeare semble découvrir et explorer l’Inconscient. Il y va à tâtons, sans cesse au bord du précipice, la folie simulée pouvant à tout instant devenir vraie folie…

Outre l’acuité hypnotique de son interprétation, qu’on retrouve ailleurs dans sa carrière, le génie spécifique de Laurence Olivier cinéaste est ici d’avoir su capturer l’essence de la pièce de Shakespeare : la hantise. Pour cela, il a sculpté une œuvre en noir et blanc, plus noire que blanche du reste, la blancheur étant réduite à la portion congrue, en l’occurrence aux cheveux de ses âmes sœurs que sont Hamlet et Ophélia (Jean Simmons), âmes bien trop pures pour ce monde. Le reste de l’image est envahi par les ténèbres. Comme le disait déjà André Bazin à la sortie du film, en 1949, Olivier a eu l’intelligence de ne pas « aérer » la pièce au nom du réalisme cinématographique, mais au contraire de la confiner dans un décor artificiel et étouffant : un château caverneux tout en hauteur et profondeur. Démarche très similaire à celle de Welles dans Macbeth (1947), film auquel on oppose trop souvent l’œuvre d’Olivier. La profondeur de champ semble a priori dégager de nouveaux espaces en épousant les regards fuyants du héros, mais c’est pour mieux circonscrire celui-ci dans une prison gigantesque, son cerveau, lui-même logé dans une boîte crânienne absurde et éphémère. La seule liberté semble celle de la caméra, surplombant les personnages, les isolant dans le décor grandiose… jusqu’à ce qu’on réalise que ces amples mouvements de caméra épousent probablement le regard d’outre-tombe du roi-fantôme, qui épie et enserre ces vivants en sursis que sont les protagonistes.

Dans cet espace aussi étouffant que le ventre d’une mère, le seul vrai moment de liberté sera celui de l’art : en milieu d’intrigue débarque en effet une joyeuse troupe de comédiens, venue divertir la cour. Hamlet leur demande en secret de jouer un drame ancien, sur le meurtre d’un roi. La représentation commence, avec le roi à la place d’honneur. La caméra se met alors à tourner lentement tout autour de la salle, contournant les invités, tout en fixant la pantomime hypnotique, amenant le procédé du théâtre dans le théâtre à des proportions prodigieuses. Mais cette caméra-œil enserre du même coup le roi Claudius, pris au piège par son neveu, meurtrier obligé de se voir en miroir. Séquence au-delà du génie, où tout se confond : Shakespeare, Olivier, le théâtre, le cinéma, le fantôme du père, la caméra, les vivant, les morts…

Hamlet de Laurence Olivier, chef-d’œuvre couronné aux Oscars et à Venise, ressort en coffret collector chez Rimini Editions, avec en bonus une analyse shakespearienne de Pierre Kapitaniak, professeur de civilisation britannique

Et surtout, Shakespeare et Olivier se confondent ici magistralement pour affirmer leur amour du théâtre, et sa manière fascinante de montrer le faux pour dire le vrai. De montrer l’infini dans une petite boîte.

Claude Monnier

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