
Par Claude Monnier : « Tous les hommes rêvent de redevenir des enfants. Et les bandits peut-être plus que les autres… » C’est ce que disait le vieux villageois de La Horde sauvage, en observant ses amis hors-la-loi faire la fête en toute inconscience. Avec Nous sommes tous des voleurs (Thieves Like Us, 1974), Robert Altman trace le portrait de tels hommes. L’auteur de John McCabe reprend ici le roman d’Edward Anderson, déjà adapté par Nicholas Ray en 1948. L’histoire de voleurs de banque en cavale dans le Sud des Etats-Unis, pendant la Grande Dépression. Bowie (Keith Carradine), le plus jeune et le moins violent de la bande, va s’éprendre d’une jeune femme naïve, Keechie (Shelley Duvall), et va tenter de construire une vie de couple avec elle. C’est l’innocence de ce couple, au milieu d’un environnement brutal, qui faisait la poésie du film de Ray. Une variation inattendue de Roméo et Juliette, en plein film noir. Et si Altman, avec son fameux style impassible, fait de plans longs qui nous immergent dans le marasme d’une époque, ne vise pas le lyrisme de Ray, il atteint tout de même à une certaine poésie.
En effet, sa patiente observation de Bowie, Keechie et de leur entourage finit par dégager, au-delà de la misère intellectuelle évidente, une réelle tendresse, teintée de fatalisme. Ces pauvres gens, avant d’être des hors-la-loi, sont avant tout des paumés, des exclus du rêve américain. Même quand ils ont un peu d’argent devant eux, fruit de leur activité criminelle, ils ne savent pas trop quoi en faire, s’ennuyant un peu. Certains, comme le caractériel Chicamaw (John Schuck), se noient dans l’alcool, attendant un prochain coup. Un prochain coup… mais pour quoi faire après ? Tous ces êtres, du plus violent au plus paisible, sont mal à l’aise dans la vie privée, la vie familiale. Et c’est cette vie intime, plus que les scènes de hold-up, qui intéresse le grand portraitiste de l’Amérique qu’est Altman, car il est évident que ces voleurs, comme le suggère le jeu de mot du titre américain, sont à ses yeux des Américains avant tout : comment vit, comment mange, comment parle, comment s’amuse l’homo americanus. Quelles sont ses espérances ?…
Pour autant, Nous sommes tous des voleurs ne se veut pas un film choral et virtuose, comme Mash, Nashville ou Short Cuts. Le cinéaste a voulu ici une approche plus individuelle, plus classique. Le nombre inhabituel de gros plans ne trompe pas, de même que le ralenti final sur Keechie. En revanche, la bande-son, elle, reste toujours aussi expérimentale, par sa densité ultra réaliste. Avec un soin maniaque, Altman l’a surchargée des innombrables émissions de radio qu’écoutaient les Américains à l’époque : The Shadow avec Orson Welles, les émissions de variétés, les condensés de pièces théâtrales (ici… Roméo et Juliette !) et, comme dans Nashville, la sempiternelle propagande des hommes politiques, qui tourne en boucle sur le poste, au milieu du salon… Soin maniaque car Altman a vécu pleinement cette époque et cette nonchalance sudiste (il est né en 1925 dans le Missouri) et il en gardait un vif souvenir. Nous sommes tous des voleurs, c’est un peu Radio Days avant l’heure ! Le petit garnement (neveu d’un des bandits) qui ne tient pas en place et fait exploser ses pétards partout dans le jardin, c’est probablement le petit Altman.

Par les réminiscences de son enfance, Nous sommes tous des voleurs est peut-être le film le plus personnel du cinéaste, le plus apaisé aussi, le moins moqueur envers ses contemporains. Ces voleurs de rêve américain, c’est lui, c’est nous.
Claude Monnier
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