Steven avant Spielberg

Dessin de Paul Shipper

Par FAL : Ceux qui pensent avec Paul Valéry qu’une demi-vérité est bien pire qu’un mensonge ouvriront avec appréhension le livre de Gilles Penso intitulé Steven avant Spielberg, puisque l’expression « biographie romanesque » qui apparaît sur la quatrième de couv’ fait craindre une « biographie romancée ». De fait, on peut tiquer quand Gilles Penso nous offre au style direct, comme s’il avait été une petite souris cachée sous la table, l’entretien que le jeune Spielberg a pu avoir lors de sa (brève) rencontre avec John Ford, ou encore ses discussions avec David Lean, ou encore la conversation avec George Lucas qui fut l’acte de naissance d’Indiana Jones… Toutes ces reconstitutions, si judicieuses soient-elles, ne sauraient être parfaitement rigoureuses.

Mais il faut toujours lire la page qui, chaque fois, suit ces dialogues reconstitués. Ce qui intéresse Penso – et dans son sillage ce qui nous intéresse, nous, lecteurs –, ce n’est pas tant ce que Ford et le jeune Spielberg ont pu se dire que ce que Spielberg réalisateur a pu emprunter, consciemment ou non, à Ford ou à tant d’autres, aucun artiste – pas même Rimbaud – ne pouvant prétendre avoir créé quoi que ce soit ex nihilo. L’inexactitude historique de l’ouvrage est ici l’outil qui permet d’accéder à une vérité artistique.

D’autant plus que Spielberg a été le premier à raconter des bobards sur sa propre carrière. Qui va croire qu’il ait pu s’introduire en douce dans les studios Universal et squatter un bureau vide suffisamment longtemps pour passer pour quelqu’un qui faisait partie de la maison ? Si, comme le disait Proust, « la vraie vie, c’est la littérature », pour Spielberg, la vraie vie, c’est le cinéma, dans tous les sens du terme, à commencer par le cinéma (les rêves) de l’enfance.

Gilles Penso, Steven avant Spielberg
éditions Michel Lafon, 18,95€.       

On ne va pas énumérer ici tous les films de Spielberg construits, ouvertement ou non, autour des rapports entre adultes et enfants, puisqu’il faudrait citer tous les films de Spielberg. Les petits garçons esclaves d’Indiana Jones et le temple maudit ; les rapports conflictuels entre Jones Sr. et Jones Jr. dans La Dernière Croisade ; la recherche d’un père de substitution dans Attrape-moi si tu peux ; le retour à l’enfance de notre planète Terre avec les dinosaures de Jurassic Park ; l’ambiguïté sur l’âge de E.T., vieillard mais frère jumeau du fœtus de 2001… On pourrait aussi évoquer le goût des remakes chez Spielberg, manière de faire renaître les films qui avaient pu enchanter sa jeunesse : West Side Story bien sûr ; Always ; Shining (dans une séquence de Ready Player One) ; et bientôt, nous dit-on, même s’il se contenterait de le produire, un nouveau Bullitt (avec Bradley Cooper dans le rôle de Steve McQueen).

Certes, on pourrait dire que tout ce cinéma doit rester l’affaire du cinéma, mais c’est oublier que, dans le cas de Spielberg, c’est toute l’enfance qui a été construite sur ce qu’on appellera, faute de mieux, un malentendu ou une illusion. Spielberg a longtemps cru que le divorce de ses parents était l’œuvre de son père. Il n’a appris que bien plus tard que celui-ci n’avait pas claqué la porte, mais était en réalité parti « en gentleman », en préférant ne pas dire à ses enfants que c’était leur mère qui était une épouse infidèle.

Or donc, depuis cinquante ans, Spielberg, d’une certaine manière, tourne autour du pot, ne cessant de nous raconter sa jeunesse (et accessoirement sa judéité) sans l’avouer – et sans se l’avouer à lui-même sans doute, et c’est petit à petit ce que nous raconte, ou plus exactement ce qu’analyse – car la « biographie romanesque » se fait doucement mais sûrement étude critique – Gilles Penso. Cette évolution rejoint d’ailleurs, comme par hasard, celle de l’œuvre ou, si l’on préfère, de la prise de conscience de Spielberg, puisqu’on sait que son prochain film, The Fabelmans, est ouvertement autobiographique. Il ne s’intitule pas The Spielbergs ? C’est exact, mais n’oublions pas que Fabel signifie en allemand fable. Et que ce faux nom est donc encore plus vrai que le vrai : Spielberg est bien l’homme qui sait mieux que personne raconter des histoires…

Frédéric Albert Lévy

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Interview de l’artiste Paul Shipper qui a dessiné l’illustration de couverture

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