
Par Claude Monnier: Un tueur à gages d’origine ukrainienne (Tim Roth) revient dans le quartier de sa jeunesse, Brighton Beach, en périphérie de New York, à l’occasion d’un « contrat ». Là, il se confronte aux siens : son petit frère (Edward Furlong) qui l’admire un peu trop, son père (Maximilian Schell) qui le déteste et sa mère qui est en phase terminale (Vanessa Redgrave).
Revoir Little Odessa après Armaggedon Time, revoir le tout premier film après le dernier crée une étrange impression. L’impression d’une boucle qui se ferme. Et d’une vérité enfin dévoilée. Comme si le dernier était le reflet véridique du premier. On sait désormais d’où vient ce foyer étouffant, sans fenêtres ou presque (qu’on retrouve également dans Two Lovers), on sait d’où vient cette mère triste, on sait d’où vient cet ado qui fait l’école buissonnière, ce Noir en détresse que les Blancs ignorent, on sait d’où viennent, hélas, les accès de violence du père…
La boucle est d’ailleurs présente dans la structure de ce premier film (Tim Roth en gros plan énigmatique, au début et à la fin) comme elle est présente dans la filmographie entière du cinéaste : Gray ne change pas, ne progresse pas, son premier film est d’emblée une œuvre de pleine maturité, de vieux maître, comme la dernière, et comme celles qu’il y a eu entretemps. Et, à l’instar du tueur incarné par Tim Roth, invincible à sa manière, cela n’a pas l’air de rendre le cinéaste heureux (voir à ce titre la belle interview de Gray par Nicolas Rioult en bonus du disque ; toujours cette tristesse et cette amertume, même dans le sourire).
Tout est dit, semble penser l’artiste… Dès le début, this is the end.
Au fond, on peut se demander pourquoi les films de Gray nous captivent alors qu’ils sont lents, étouffants, sans humour (ou presque), et que les personnages sont moroses, voire déprimés, du début à la fin ! C’est que James Gray parvient à chaque fois, par son découpage et sa direction d’acteurs tout en retenue, à créer une tension dans chaque scène. Cette retenue n’est pas de la pudeur, c’est une incompréhension devant la dureté et l’ennui de l’existence. Incompréhension aussi devant l’incapacité de l’homme à sortir de cette « prison ». Devant son extrême solitude. On a toujours le sentiment que les personnages principaux de Gray, constamment taciturnes, vont exploser… mais ils n’explosent pas. D’où la tension. Le cinéaste a retenu la leçon de ses maîtres Coppola et Pacino dans Le Parrain : l’action est inutile, même sur deux heures, même sur trois, quand on a des personnages qui se jaugent d’un bout à l’autre du récit, et qui subissent sans broncher, impénétrables, le drame. Le spectateur se retrouve comme eux, et comme l’auteur, enfermés dans la vie. Nous sommes leurs codétenus. Et à force de scruter ces êtres secrets qui sont avec nous dans la cellule, on entre en contemplation. D’où la beauté hypnotique de ces films, accentuée encore plus dans Little Odessa par la neige omniprésente, neige qui recouvre tout en silence.
Par ailleurs, les films de Gray génèrent une autre tension, qui vient de l’écart entre l’environnement extrêmement réaliste, voire parfois médiocre, et la position délicate de la caméra. Une caméra aussi délicate que celle d’Ozu, avec des personnages qui restent longtemps sans bouger, coincés dans leur peau et dans la pièce, tendus vers un autre qui ne s’ouvre pas plus qu’eux.
Claude Monnier
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