Hugh Hudson (1936-2023) : la disparition de l’auteur de Greystoke et Révolution

Par Claude Monnier : La mort de Hugh Hudson le 10 février dernier n’a pas fait grand bruit dans les médias. Il est vrai que, aux yeux des journalistes, le cinéaste est déjà « mort » depuis longtemps, précisément depuis le bide de l’ambitieux Révolution, à la fin de 1985. Abattu par le torrent de haine et de sarcasmes de la presse américaine, torrent comparable à celui qui avait déferlé sur Cimino au moment de La Porte du Paradis, Hudson n’a plus retrouvé l’inspiration. Les films qui ont suivi Révolution laissent tous à désirer : Le Carrefour des innocents (1989), My Life So Far (1999), Je rêvais de l’Afrique (2000). Heureusement, son dernier film, Altamira (2016), avec un Antonio Banderas impérial, luttant pour préserver des fresques préhistoriques dans l’Espagne ultra catholique du XIXe siècle, a su retrouver la grâce et l’émotion de ses débuts. Mais là encore, le film est passé sous les radars de la critique. Significativement, les quelques hommages à Hudson qui sont parus dernièrement n’évoquent pas ce beau film (mais encore faudrait-il l’avoir vu !). Pire, la plupart des journalistes, par pur conformisme, s’en tiennent à l’oscarisé Chariots de feu et ne daignent même pas mentionner Greystoke (1984) et Révolution (1985) qui ont suivi juste après ! Ce conformisme de la presse est d’autant plus déplorable que l’œuvre entière de Hudson repose sur des personnages anticonformistes, luttant sans relâche contre l’establishment, des êtres épris de liberté, à l’image de leur metteur en scène, élevé dans la haute bourgeoisie britannique, et ayant tout fait pour s’en extirper. Même les films les moins satisfaisants de Hudson témoignent de ce rejet de l’esprit étriqué des classes dominantes, au nom d’un idéal humaniste de fraternité.

Il faut reconnaître toutefois que ce discours humaniste a atteint son maximum d’impact avec ses trois premiers films. Et c’est peu dire que la trilogie anti-establishment britannique constituée par Les Chariots de feu, Greystoke et Révolution est l’un des ensembles thématiques et esthétiques les plus beaux et cohérents de l’histoire du cinéma. Commencer sa carrière par trois chefs-d’œuvre suffirait à inscrire Hudson au Panthéon du cinéma (même si apparemment cela ne suffit pas pour la critique), mais ce qui a surtout du prix à nos yeux, c’est l’évolution artistique à l’intérieur de cette trilogie : Hudson semble s’épanouir au fur et à mesure, galvanisé sans doute par la thématique traitée (la nécessaire liberté de l’individu). Cette thématique de la liberté est vue sous trois angles différents : l’angle bourgeois (la délégation olympique anglaise de 1924), l’angle mythique (Tarzan, seigneur des singes), l’angle populaire (les révolutionnaires américains de 1776-1883). Cette différence d’angles permet à l’ambitieux Hudson de passer, en trois films, du chef-d’œuvre classique, plein de distinction et de retenue (Les Chariots de feu), au chef-d’œuvre romantique, plein de lyrisme tourmenté (Greystoke) pour aboutir enfin au chef-d’œuvre moderne, plein de dissonances abruptes (Révolution). Soit, pour cet homme immensément cultivé, un condensé de l’évolution esthétique de l’Occident depuis la fin du XVIIIe siècle ! Formellement, au sein de paysages humides d’une beauté à couper le souffle (n’oublions pas que Hudson a été l’égal de Ridley Scott dans la pub anglo-saxonne de la fin du XXe siècle), cela se traduit successivement par un format 16/9 distant et rigoureux, type Barry Lyndon (Les Chariots de feu) ; un format scope foisonnant et ténébreux, privilégiant la plongée et la contre-plongée (Greystoke) ; un format scope décentré et chaotique (Révolution). La raison de cette évolution sidérante vient évidemment du sujet : comme beaucoup de grands conteurs, Hudson épouse complètement (et amoureusement) le point de vue de ses personnages. Ainsi, les deux athlètes des Chariots de feu sont des êtres de rigueur et de discipline, et c’est par cette discipline qu’ils délivrent intelligemment leur message anticonformiste de tolérance raciale et religieuse, au sein même de l’establishment ; ces deux hommes sont sûrs d’eux, de leur cause, et ont raison de l’être ; il n’en va pas de même pour le jeune Lord Greystoke, complètement déchiré entre deux mondes (La Nature, la Civilisation) et qui exprime son désarroi de manière instinctive. Son anticonformisme n’est pas du tout assumé, John Clayton/Tarzan étant un être malheureux, tourmenté, un « demi-dieu » qui se fracasse contre le réel. C’est pour exprimer ce tourment intérieur que le style de Hudson se veut romantique (au sens littéraire ou pictural du début du XIXe siècle) ; les combattants américains de Révolution, quant à eux, sont fiers d’être « anticonformistes », c’est-à-dire rebelles à la monarchie ancestrale et étouffante des Britanniques, mais ils sont complètement dépassés par le courant de la Grande Histoire. Contrairement aux héros des Chariots de feu, ils ne saisissent pas la portée historique de ce qu’ils font. D’ailleurs, comment pourraient-ils avoir conscience qu’ils sont en train de fonder un pays qui va changer le monde pour les siècles à venir ? A leur échelle de fourmis, c’est simplement la boue, la souffrance et le chaos total. Le style choisi par Hudson épouse totalement cette confusion. Et cela crée une dialectique fascinante entre ce que les personnages ignorent et ce que nous, spectateurs, savons. Cette dialectique constante entre le témoignage « en direct », type reportage, et le recul de plusieurs siècles, qui est le nôtre, donne la réflexion historique la plus intelligente qu’on ait jamais vue au cinéma. Et c’est aussi la meilleure réflexion sur ce qu’est l’image d’un événement en cours, à l’heure de l’info en continu. Hudson choisit de ne pas tout dire, de ne rien souligner. Au spectateur de réfléchir sur le réel et le mythe, ce qu’annonçait déjà Greystoke, mais ici il n’y a pas de héros exceptionnel pour compenser. Juste des gens ordinaires.

Le cinéaste a payé très cher cette modernité.

Claude Monnier

Retrouvez également l’article de FAL sur Hugh Hudson

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