Civil War : L’horreur… L’horreur…

Par Claude Monnier : Dans un futur proche, les Etats-Unis ont sombré dans une deuxième guerre civile : cette fois, l’Ouest contre l’Est. Les forces gouvernementales de Washington sont sur le point de perdre. Des journalistes de New York décident d’aller jusqu’à la capitale pour avoir le scoop du siècle : les dernières images (et les derniers mots) du président, pris au piège à la Maison Blanche…

On pourrait penser à une série B provocatrice du type New York 1997 et, quelque part, Civil War en est une (une production A24 « d’à peine » cinquante millions de dollars, surfant sur les divisions, les violences et les peurs actuelles des Etats-Unis), mais à la vision du film on ne pense pas vraiment à Carpenter : plutôt à Apocalypse Now ! En effet, le film suit la progression contrariée et hallucinée d’un petit groupe d’individus au milieu d’un pays ravagé, jusqu’à un homme puissant et quasi inaccessible sur le point de chuter. La route remplace le fleuve, les journalistes remplacent les militaires, mais la structure est la même, ainsi que l’ambiance mi-guerrière, mi-surréaliste : chaque séquence est un « épisode » en soi, une étape plus ou moins étrange, avec des gens à moitié  ̶̶  ou totalement  ̶  fous : pensons à l’épisode du sniper dans le parc d’attraction désaffecté (scène plutôt cocasse) ou au milicien xénophobe surveillant une fosse commune (scène insoutenable de tension) ; il y a même dans le périple l’équivalent de la séquence de la plantation française, avec la halte dans une petite ville paisible, totalement hors du temps (en apparence). Par ailleurs, l’héroïne, remarquablement incarnée par Kirsten Dunst, est aussi désabusée et apathique que le capitaine Willard (Martin Sheen). Car elle en a trop vu…

Diantre ! Apocalypse Now… Pour Alex Garland, n’est-ce pas viser un peu haut ? Etonnamment, non. Certes, Civil War n’est pas un grand chef-d’œuvre métaphysique et sa fin trop cynique, trop abrupte, le ramène soudain à sa condition de « série B gratuitement provocatrice », mais ce serait vraiment injuste de le juger d’après cette fausse note finale. D’abord parce que formellement, le film a une très haute tenue, qui en remontrerait à n’importe quel blockbuster friqué : perfection de la photographie, à mi-chemin entre le réalisme cru et la rêverie en suspension ; perfection des effets numériques indécelables, ce qui est rare pour un « petit » budget (la chute de Washington… on s’y croirait !) ; perfection de la bande-son qui, au même titre que l’image, fait alterner, de manière très équilibrée, le son réel de la guerre et la perception étrange, cotonneuse, presque poétique, de l’esprit traumatisé ; un esprit qui préfère se fermer pour contempler ou écouter « autre chose » : la chanson qu’il a en tête, la nature paisible qui l’environne (par exemple lorsque l’héroïne se concentre, sans savoir pourquoi, sur les maigres fleurs dans l’herbe pendant l’épisode du sniper).

Ensuite, parce que Civil War, dans son entier, est d’une humanité qui contraste justement avec cette fin abrupte et cynique : humanité qui vient de ce petit groupe imparfait de journalistes (une pro désabusée, un assistant inconscient, une débutante apeurée, un vieillard usé), gens ordinaires qui s’interrogent sur eux-mêmes tout au long du périple. Tous les acteurs sont d’ailleurs intenses, criants de vérité dans leurs regards douloureux.

Le film est donc, à son échelle, une réussite quasi totale. Mais quitte à s’inspirer d’Apocalypse Now, Garland aurait dû le faire jusqu’au bout et finir en douceur, dans une tonalité de folie hébétée. Une tonalité poétique. Issu d’une famille de musicien, Coppola avait senti qu’il fallait une coda à sa symphonie déjantée. Question de rythme. Et de justesse.

Cela dit, la fin choisie par Garland a au moins le mérite de faire réfléchir sur le statut de l’image, sur la notion de scoop, de cadrage, de décence ou d’indécence d’une photo de victimes ; autant de motifs qui sont évidemment au cœur du film. Mais nous pensons qu’en matière d’œuvre d’art (et Civil War en est une, à sa façon), la poésie doit toujours l’emporter.

Claude Monnier

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