Furiosa, l’Iliade et l’Odyssée de George Miller

Par Claude Monnier : Plus il vieillit (il approche les 80 ans), plus George Miller semble s’épanouir en tant qu’artiste. Phénomène qu’on voit davantage chez les grands musiciens (compositeurs ou chefs d’orchestre) que chez les cinéastes. Et loin de l’entraver, les gros moyens de la Warner le galvanisent. La plus belle leçon de Fury Road et de Furiosa, c’est de voir un cinéaste préserver son intégrité artistique tout en offrant un spectacle extraordinaire au public. C’est en ce sens que Joe Dante avait raison de dire, à la sortie de Fury Road en 2015, que Miller ramenait tous ses collègues sur les bancs de l’école ! Dans Furiosa, sans même évoquer le personnage admirable de la mère combattante, chevauchant sa moto pieds nus, il suffit de penser au nain mort dans la citerne ou à la vieille édentée dans la grotte sanguinolente (apparitions de quelques secondes mais inoubliables), pour comprendre le sens du détail et la folie créatrice de l’auteur. Son amour de l’humanité aussi.

Avec Furiosa, Miller a voulu faire une somme, la somme de tous les Mad Max, mais aussi de son œuvre. C’est d’ailleurs peut-être la limite du film, ce qui l’empêche d’être parfait comme Fury Road : il y a ici un côté « patchwork » où surgissent pêle-mêle des allusions à tous les Mad Max précédents, mais aussi à Trois mille ans à t’attendre (les images numériques naïves du début, l’influence orientale chez le méchant Dementus, le découpage en chapitres), dans un déluge de travellings avant ébouriffants qui prolongent sur deux heures trente le style de Cauchemar à 20 000 pieds, son génial épisode pour La Quatrième dimension.

Ce côté « patchwork » n’est pas le signe d’un manque d’inspiration, bien au contraire. Il entre pleinement dans le projet thématique et formel de Miller pour Furiosa : faire de ce film une œuvre qui englobe tout. Non seulement ses films précédents, mais aussi cent ans de western, ainsi que trois mille ans d’Histoire et de Mythologie. Sans le savoir (et c’est ce qui est secrètement émouvant), les êtres humains incultes de ce monde postapocalyptique rejouent toute notre épopée, celle des mythes et celle de la réalité : l’exclusion du Paradis terrestre, la Préhistoire sans loi, l’Antiquité (la prise de Troie, la mort d’Hector, l’errance d’Ulysse), le Moyen-Âge (le féodalisme), les guerres contemporaines au Moyen-Orient… Seule un vieillard, véritable homme-livre à la Ray Bradbury, connaît la raison de cette agitation et s’en émeut sans le dire aux autres (car on ne pleure pas dans le Wasteland) : les combats perpétuels que se livrent ici les hommes ne sont pas un signe de haine ou de mépris, c’est un moyen maladroit d’échange et de communication, presque un acte d’amour désespéré envers l’Autre, à qui on ne sait plus parler.

À ce titre, observez bien les nombreux combats de Furiosa, ces perpétuels allers-retours entre « cités », et observez bien la mise en scène de Miller : il s’agit toujours d’englober, de relier dans l’espace, en un grand élan, des groupes humains, qui se tournent sans cesse autour et partagent ainsi une expérience. Ce n’est pas du combat, c’est un moyen d’expression. Ce n’est pas de la haine, c’est de la danse. Leur danse. Et c’est pourquoi la caméra scrute amoureusement leurs moindres gestes et les enrobe, épousant leurs mouvements, épousant leurs regards, mouvements qui les poussent les uns vers les autres, regards qui mesurent la route à parcourir pour atteindre autrui.

La Route… Dans un monde sans Dieu, c’est tout ce que les hommes ont trouvé pour se réunir.

Claude Monnier

Le mook Starfix 2023 est toujours disponible dans les librairies et FNAC. N’hésitez pas à le demander à votre libraire si ce n’est pas le cas (attention il n’est pas dispo en kiosque et dans les réseaux magazines). Sinon vous pouvez le commander sur le Pulse Store

Suivez toute l’actualité de STARFIX

Laisser un commentaire