Par FAL

Tout spectateur français doté d’un peu de mémoire, voyant sur une affiche le titre « Le Mans 66 », est enclin à penser qu’il s’agit là d’un remake du « Le Mans » tout court sorti en 1971, avec Steve McQueen dans le rôle principal et, accessoirement, François Fillon parmi les figurants. Mais « Le Mans 66 » a pour titre original « Ford v. Ferrari » et ne contient guère plus qu’un clin d’œil à McQueen (son nom est simplement mentionné au détour d’une réplique). Et si les 24 Heures du Mans jouent bien un rôle capital dans l’histoire, elles n’entrent en scène que dans le dernier chapitre.
Entre nous soit dit, il est heureux que ce « Le Mans 66 » ne soit pas un remake du film de Steve McQueen. Le comédien avait une telle passion pour les voitures qu’on a pu voir, il y a cinq ans, un long documentaire (présenté à Cannes) intitulé « Steve McQueen : The Man & Le Mans », mais il n’en reste pas moins que « Le Mans » fut l’un des plus gros échecs de sa carrière – c’est même, à vrai dire, le sujet central du documentaire en question… En fait, si la poursuite automobile s’est très vite imposée comme l’une des figures essentielles du cinéma d’action (v. par exemple « French Connection » ou, pour les fans de McQueen, « Bullitt », et ne parlons pas de « Mad Max »), il en va tout autrement de la course automobile. Voir deux heures durant sur un écran les mêmes véhicules tourner sur un circuit, cela devient très vite, nonobstant la vitesse à laquelle ils tournent, étrangement statique. La pluie, la nuit, un incident technique, un accident ici ou là… les assaisonnements traditionnellement utilisés pour maintenir l’attention du spectateur sont depuis longtemps éventés et rares sont les films centrés autour d’une course automobile dont le scénario obéisse à une véritable construction. « Michel Vaillant » était une catastrophe sans nom (la kolossale finesse de l’intrigue était à trouver dans une substitution de pilote permise par l’anonymat garanti par le casque et la combinaison…) ; quelques décennies plus tôt, « Grand Prix », avec Montand et Françoise Hardy, pédalait dans une choucroute triste ; quant à « Driven » de Stallone, même les plus fervents des stalloniens l’ont depuis longtemps oublié. Seul se détache de cette filmorosité le « Rush » de Ron Howard, qui traitait avant tout d’une rivalité entre deux personnalités opposées, James Hunt (incarné par Chris Hemsworth) et Nikki Lauda (Daniel Brühl). Et, aujourd’hui, ce « Le Mans 66 » (qui confirme, après, entre autres, « Copland », « Night and Day » et « Logan », l’intelligente polyvalence du réalisateur James Mangold).
L’originalité du scénario consiste ici à décaler les éléments traditionnels – à faire de la course automobile, non pas l’enjeu de l’histoire, mais son support (tout comme la boxe n’est que le support, pour ne pas dire le prétexte, de l’histoire dans les « Rocky »). Ou plus exactement le support de deux histoires qui sont toutes deux celle d’une reconquête.
Tout commence par la mise à la retraite forcée d’un champion automobile interprété par Matt Damon. Inégalable, inégalé, mais ses ennuis cardiaques sont tels que son cœur est voué à lâcher d’un instant à l’autre s’il appuie un peu trop vite sur un accélérateur. Bien sûr, il peut « rester dans la course », mais à condition d’exercer des fonctions d’organisateur, de ne pas quitter le stand de ravitaillement. Et pourtant, tout en ne décollant pas de ce stand, il va d’une certaine manière continuer à vivre sa vie de pilote. Par procuration. En mettant à sa place son vieux copain (interprété par Christian Bale), aussi doué que lui, voire plus, mais condamné jusque-là, du fait de son caractère de cochon, à ne jamais être engagé dans une écurie. Sauf erreur, il n’y avait pas encore de communication radio entre le pilote et les responsables techniques dans les années soixante, mais qu’importe ? Il existe ici entre les deux hommes un véritable lien télépathique, qui, à certains moments, fait de « Le Mans 66 » presque un film fantastique à la James Cameron, Bale, si maverick soit-il, devenant comme l’avatar de Damon.
L’autre histoire est celle de la lutte entre Ford et Ferrari annoncée dans le titre original. Il ne s’agit pas, pour chacune de ces deux marques, de gagner la course pour gagner la course, mais d’affermir son image, ou, si l’on veut, de remporter la seule victoire qui compte – la victoire sur soi-même. Si l’on prend comme critère le nombre de véhicules produits chaque année, Ferrari n’est qu’un moucheron par rapport à Ford. Mais c’est ce moucheron qui suscite l’admiration et le respect du grand public, parce qu’il est présent (et victorieux) dans les compétitions internationales. Si Henry Ford II veut acquérir pour sa firme la même reconnaissance et, accessoirement, redresser la courbe des ventes, en baisse depuis quelque temps, il doit amener tout son personnel à concevoir, fabriquer, créer de toutes pièces un modèle de Formule 1 qui impose le respect. Victoire sur soi-même, avons-nous dit ? Oui, parce que, comme l’a écrit un jour Victor Hugo, les guerres entre deux camps se doublent le plus souvent de guerres civiles à l’intérieur de chaque camp. Le pilote interprété par Christian Bale est sans nul doute le meilleur, mais chez Ford, certains cadres estiment que son look de beatnik va à l’encontre de l’image prestigieuse qu’on aspire à donner à la maison. Et les intrigues de palais sont finalement plus dangereuses que les chicanes des circuits.
« Le Mans 66 » dure deux heures et demie. Il faudra bien que cette mode oversize cesse un de ces jours – certaines montagnes gagneraient beaucoup à n’être d’emblée que des souris –, mais la complexité du scénario (sans parler du soin apporté à la reconstitution des sixties) justifie ici cette longueur. Il y a même une lacune quelque peu gênante dans l’affaire. Les 24 Heures du Mans se courent à deux. Or c’est tout juste si l’on aperçoit pendant quelques secondes le coéquipier de Bale. Mais sans doute – et la dernière séquence est là pour dissiper certaines de nos illusions – le message le plus important de « Le Mans 66 » est-il que, team spirit ou non, un pilote de course est voué comme Lucky Luke à être à jamais « a poor lonesome cowboy ».
FAL
(Frédéric Albert Levy)
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