Les effets de l’Arsène

Brèves remarques sur la série Lupin par FAL.

Omar Sy alias Assane Diop dans la série Lupin © Netflix

Semi-fake news sur le site de Première. On nous informe que la série Lupin – Dans l’ombre d’Arsène produite par Netflix s’est très vite imposée comme l’un des plus grands succès à ce jour de la plate-forme, worldwide (États-Unis inclus), exploit peu banal pour une série made in France. Et l’on précise que ceci est dans la logique des choses, des critiques enthousiastes ayant accompagné, voire précédé sa diffusion.

Mais il y a ici une légère réécriture de l’histoire. Car dans la presse, en tout cas dans la presse française, peuplée, comme on sait, de fins esprits adeptes du moi-on-ne-me-la-fait-pas, même les commentaires les plus positifs ont été un brin condescendants, le plaisir éprouvé à la vision de Lupin étant relégué dans la catégorie « plaisirs coupables ». Résumons : « C’est pas mal, mais Omar Sy n’a pas le panache de Georges Descrières. » Variante : « Ce n’est pas désagréable à voir, mais le gentleman cambrioleur est devenu un gentil prestidigitateur. » Ou encore : « Cette transposition moderne des aventures d’Arsène Lupin s’inspire visiblement de la série britannique Sherlock, mais elle est loin de se hisser à son niveau. »

Quelle importance faut-il accorder à ces perfides piques ? La première saison de Sherlock était absolument éblouissante ; la deuxième, intéressante ; les deux suivantes, franchement catastrophiques. Impossible, même avec la meilleure volonté du monde, même avec une totale suspension of disbelief, de prêter attention aux raisonnements hystériques débités par Holmes et qu’il était le seul à pouvoir comprendre. D’ailleurs, pour redonner un peu d’authenticité à l’affaire, les scénaristes n’avaient pas craint, pour un épisode « Spécial Noël », de renvoyer Holmes et Watson dans leur Angleterre victorienne.

« Gentil prestidigitateur » ? Ne jamais oublier que Lupin avait à l’origine été conçu, sur la demande d’un patron de presse, comme le pendant français de Sherlock Holmes (qu’il finit d’ailleurs par croiser dans l’une de ses aventures) et qu’il n’est pas systématiquement malhonnête. Un grand nombre de nouvelles de Maurice Leblanc – en particulier celles du recueil L’Agence Barnett et Cie – sont des enquêtes policières pures et dures, à la faveur desquelles, certes, Lupin peut se saisir d’un collier de diamants ou de quelque objet de valeur, mais il est clair qu’il trouve son plaisir non pas tant dans la possession que dans l’acquisition de ces trophées : la chasse l’amuse et le passionne bien plus que la proie. Alors, oui, Lupin est un prestidigitateur, mais c’est dans sa nature profonde, ses plus beaux tours consistant à s’escamoter lui-même.

À vrai dire, la critique la plus « méchante » que l’on pourrait adresser à cette série Lupin tient à sa date de diffusion : peut-être a-t-elle autant de succès parce qu’elle a la chance d’être présentée à un moment où, du fait des confinements, absolus ou relatifs, beaucoup de gens sur la planète rêvent de pouvoir s’évader – comme Lupin le faisait dès la première de ses aventures imaginées par Leblanc.

Le « panache » de Descrières ? Quel panache ? D’abord, citer uniquement cette référence, c’est faire injure à au moins deux Lupin de cinéma, Romain Duris et Robert Lamoureux – ce dernier, dans les films de Jacques Becker et Yves Robert, avait vraiment la tête de l’emploi. Ensuite, c’est oublier que le jeu de Descrières était parfois bien théâtral, très « Comédie française », et peu apte à traduire la légèreté inhérente au personnage de Lupin. Sans parler des erreurs de continuité qui faisaient que, dans cette série, il pouvait arriver que la longueur des cheveux de Lupin varie de plusieurs centimètres lorsqu’il franchissait une porte…

Etan Simon (Raoul), Ludivine Sagnier (Claire) et Omar Sy (Assane Diop) dans la série Lupin © Netflix

On ne s’attardera pas ici sur certains commentaires de fielleux internautes regrettant qu’on ait choisi pour interpréter le héros de Lupin Omar Sy, autrement dit un comédien « issu de la diversité ». Oui, Lupin, ici, est noir ? Et alors ? Dans l’une des dernières adaptations des Misérables, une série de six heures produite par la BBC il y a deux ans, le rôle de Javert est interprété par le comédien Daniel Oyelowo, qui avait précédemment incarné Martin Luther King. Personne n’a trouvé à redire : il est Javert, c’est tout, et la couleur de sa peau n’a aucune importance. Ici, les choses sont sans doute un peu plus complexes, ou plutôt plus contradictoires, mais c’est précisément ce qui doit chiffonner sans qu’ils en soient forcément conscients certains « Français de souche » : sans jamais poser ouvertement la question, à travers quelques sourires, Lupin dénonce l’absurdité du racisme. Le héros est repérable, puisqu’il est noir, mais cette « étiquette » générique qui fait fi de son individualité lui permet, comme le souligne le réalisateur Louis Leterrier, d’être quasi invisible (dirons-nous insaisissable ?), et de se substituer à un « cousin » prisonnier, au nez et à la barbe des surveillants de la prison. Nous retrouvons là le paradoxe inhérent aux aventures originales de Lupin, qui ne cesse de prendre l’identité de personnages importants – s’octroyant même parfois le titre de prince – pour mieux passer inaperçu. Prestidigitateur, oui, mais qui, comme tout bon prestidigitateur, construit bien plus ses tours en manipulant son public (ici, ses adversaires) qu’en manipulant des objets. Hide in plain sight.

Louis Leterrier et Omar Sy sur le tournage de la série Lupin © Netflix

Le principe consistant à prendre comme héros de la série non pas Lupin, mais, disons, un fils spirituel de Lupin, s’inscrit dans le même esprit et n’est pas loin d’être un coup de génie. En effet, si, du fait du goût pour l’excentricité propre aux Britanniques, Sherlock Holmes peut sans trop de mal être catapulté tel quel dans le monde d’aujourd’hui sans se défaire de son deerstalker et de sa cape inverness, il est difficile d’imaginer, dans quelque circonstance que ce soit, un Lupin se promenant de nos jours dans la rue ou dans les couloirs du métro avec les attributs distinctifs que sont son gibus, son monocle et sa canne à pommeau. Une transposition s’imposait. Un tombeau, au sens littéraire du terme, autrement dit une œuvre conçue en référence à une autre œuvre, mais se démarquant d’elle. Autant dire une réincarnation. Autour d’Assane, ombre d’Arsène, se joue une triple transmission. Transmission verticale, familiale, à travers le livre de Maurice Leblanc légué au héros par son père injustement accusé, et à travers un autre volume que lui-même transmet à son tour à son fils. Transmission horizontale, télépathique, entre le héros et le flic incompris mais qui, lui aussi lupinologue, comprend bien mieux que ses collègues tout ce qui se passe (le dernier plan du cinquième épisode laisse d’ailleurs deviner une alliance prochaine entre ces deux adversaires). Et enfin, mise en abyme, le spectateur s’identifiant à Assane comme Assane s’identifie à Arsène.

On nous dit que la diffusion de Lupin a déjà eu pour effet de faire monter en flèche les ventes des ouvrages de Maurice Leblanc. Netflix, ennemi des exploitants de salles de cinéma, mais meilleur allié des libraires. Cambrioleur, donc, mais aussi gentleman à ses heures.

Frédéric Albert Lévy

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