Alternativement vôtre

Par FAL : Si d’aventure l’envie vous prend de jeter un coup d’œil sur l’article contreculture (ou contre-culture)dans Wikipédia, prévoyez toute une après-midi : il est interminable. Mais que déduire de cette longueur ? Deux choses totalement contradictoires. La première, c’est que la notion de contreculture est tellement riche que sa définition exige de multiples développements. La seconde, c’est que, comme le prouvent précisément ces multiples développements, la notion de contreculture est une notion parfaitement absurde, et donc que ce n’est pas à proprement parler une notion.

L’origine de cette contradiction est à la vérité assez simple. Si l’on prend la définition de base, la contreculture – le terme a fait son apparition à la fin des années soixante – est un courant culturel en opposition avec la culture dominante. Voilà qui est clair et net, n’est-ce pas ? L’ennui, lorsqu’on réfléchit deux secondes, c’est que cette définition peut très bien s’appliquer à la culture tout court. Madame Bovary de Flaubert, Les Fleurs du mal de Baudelaire, qui sont aujourd’hui au programme de tous les examens et concours, ont valu en leur temps à leurs auteurs des procès en justice, parce qu’ils étaient « en opposition avec la culture dominante ». Molière a dû rewriter plusieurs fois son Tartuffe, parce que cette pièce était en opposition avec la culture dominante. Madame Rimbaud mère était scandalisée que son fils pût, sous l’influence de son dangereux professeur de Lettres, lire un roman aussi immoral que Les Misérables. Toute œuvre d’art est forcément contre au départ, si elle entend être création. Vient ensuite, plus ou moins rapidement, cette étrange mais inévitable métamorphose qui fait d’elle une œuvre classique. Allons, Starfixiens, ne faites pas semblant de ne pas comprendre : nous savons bien que nombre de réalisateurs que défendait Starfix il y a trente-cinq ans font aujourd’hui l’objet de rétrospectives dans les cinémathèques.

Le documentaire de Xanaé Bove Une vie Parallèles, que vient d’éditer Doriane Films, entend retracer l’histoire de l’underground français à travers l’évocation de différentes librairies qui s’appliquèrent à partir des années soixante-dix – et qui, pour certaines, s’appliquent encore – à diffuser les produits de la contreculture, à savoir livres, fanzines, bandes dessinées, disques et tutti quanti. Si Parallèles dans le titre est au pluriel, c’est d’ailleurs parce c’était le nom de la première d’entre elles, qui existe toujours. Elle a sa page Facebook, où l’on peut lire, entre autres choses, le menu suivant, qui prouve à quel point elle est restée fidèle à ses idéaux : Contre-culture, antiproductivisme, situationnisme, musique, art, littérature, fiction, BD, fanzines, Achat/vente cd et vinyle.

N’ayons pas peur de le dire, ce documentaire a le pire défaut que puisse avoir un documentaire : il s’adresse à des gens qui connaissent déjà ce dont il est question. Les différents intervenants tiennent des discours remplis de références absolument sibyllines pour le commun des mortels, et en particulier des jeunes mortels. L’évocation de la librairie Maspero, par exemple, et de ces vols auxquels s’y livraient rituellement après ’68 des révolutionnaires au petit pied n’a de sens aujourd’hui que pour les senior citizens.

Mais ce défaut n’empêche pas ce documentaire d’être passionnant, dans la mesure où s’y exprime, petit à petit et même si l’on ne comprend pas tout, la contradiction que nous signalions plus haut. Ainsi, après différents péans célébrant les vertus du rock alternatif, surgit l’interrogation désabusée d’un vieux de la vieille qui vient tout fiche par terre : « Alternatif à quoi, d’abord ? » On nous permettra de penser que celui-là est beaucoup plus dans le sens de l’histoire que bien d’autres témoins. Et c’est, au fond, l’intérêt majeur de ce documentaire : à partir d’un sujet en apparence réservé à des happy few, ou plus exactement, vu le parfum de douce révolte qui plane sur l’ensemble, à des unhappy few, se dessine en filigrane une histoire des changements de Paris au cours du dernier demi-siècle : les Halles, puis le trou des Halles, puis le trou des Halles utilisé comme décor par Marco Ferreri pour son western starring Mastroianni, Piccoli, Noiret, Tognazzi et Deneuve Touche pas à la femme blanche !

Dans le même désordre d’idée, on ne peut s’empêcher de sourire d’un sourire un peu triste lorsqu’on voit les questions financières initialement balayées d’un revers de main (« Il y avait toujours, là où on travaillait, une photocopieuse où l’on pouvait imprimer nos fanzines… ») apparaître en force quand, succès aidant, telle libraire se demande s’il vaut mieux pour elle louer ou acheter les locaux de sa librairie.

Où il est prouvé qu’Aristote avait tort de penser qu’une chose ne pouvait être à la fois elle-même et son contraire. Il y a même, précise l’article de Wiki, beaucoup de contradictions internes à l’intérieur de la contreculture.

Frédéric Albert Lévy   

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