Rifkin’s Festival, le nouveau Woody Allen enfin sur les écrans

Par Claude Monnier : Le contraste ne saurait être plus grand : vous vous installez dans la salle pour voir le nouveau Woody Allen, retardé de deux ans à cause de la pandémie, et vous recevez en pleine figure un gloubi-boulga de pubs bariolées, de bandes-annonces pour blockbusters puérils et comédies françaises démagos, le tout dans un montage frénétique. Et puis le film commence et votre regard se pose délicatement sur quelque chose d’élégant, de réfléchi, de charmant, sur une œuvre à la fois légère et grave. Oui, c’est bien un film de Woody Allen. Plus particulièrement, le réalisateur creuse ici la veine méta-cinématographique de Tombe-les filles et tais-toi, Stardust Memories et La Rose pourpre du Caire, avec un zeste de Zelig pour la falsification des « vieux films en noir et blanc ». Vous l’aurez compris, Rifkin’s Festival se veut résolument l’antithèse et l’antidote du cinéma hollywoodien actuel. Presque une provocation.

Jugez plutôt : Mort Rifkin (Wallace Shawn) est un enseignant en cinéma qui ne jure que par Welles, Truffaut, Godard, Bergman et Fellini. Il déteste le cinéma d’aujourd’hui. A contrecœur, il a suivi son épouse, Sue (Gina Gershon), au festival de films de Saint-Sébastien, où elle fait fonction d’attachée de presse pour un jeune metteur en scène français à la mode, Philippe (Louis Garrel). Jaloux de voir que sa femme fricote avec le bellâtre, perturbé par ses rêves où il rejoue des scènes entières de Citizen Kane, Huit et demi et Jules et Jim, Mort remet en question son existence et se met en tête de séduire une jolie femme-médecin, Joanna (Elena Anaya), rencontrée au cours d’une de ses crises d’hypocondrie. Mais la jeune femme se révèle encore plus fragile que lui…

Chassés-croisés amoureux, longues promenades en ville, conversations existentielles, onirisme, hypocondrie, one-liners savoureux (Philippe : « Je veux faire un film qui réconcilie Israéliens et Palestiniens » ; Mort : « Oui, c’est très bien, la science-fiction. »)… Toujours la même chose avec Woody Allen ! me direz-vous… Eh bien oui, toujours la même chose. Mais n’est-ce pas la vie qui est toujours la même chose ? Et à plus forte raison la vie d’un bourgeois bohème, partagé entre son travail, ses amours, ses loisirs et ses rêves manqués ? Il se trouve que Woody Allen est de ces artistes qui ne parlent que de ce qu’ils connaissent. Et il a raison. A quoi sert d’explorer l’infini de l’espace intersidéral quand on sait explorer l’infini de l’âme, comme Proust ou Tchékhov ? Cette exploration est aussi profonde, aussi étrange que l’autre. Et en plus elle coûte moins cher. Elle est également plus drôle. Enfin, plus drôle… S’il est un artiste qui pratique l’humour comme politesse du désespoir, c’est bien Allen. Comme beaucoup de ses films, Rifkin’s Festival est une traversée amère. D’un bout à l’autre, on se sent flotter… et on vacille. Le motif de la mer est omniprésent chez l’auteur de Radio Days. Mais pas besoin de prendre un bateau ; d’ailleurs, on aurait le mal de mer. Non, il suffit d’avoir la mer en arrière-fond (ici le golfe de Gascogne), comme un gouffre toujours possible. Comme un reflet de notre solitude profonde. Même le cinéma ne nous réconforte plus : les grands classiques européens, magistralement recréés par Allen avec l’aide du chef-op de génie Vittorio Storaro, sont autant d’ilots mystérieux, ou absurdes, sur lesquels on ne peut pas vivre. Dans le monde d’aujourd’hui, la Mort du Septième Sceau est en porte-à-faux.

Et lorsqu’on arrive sur l’autre rive, au bord de la rupture, au seuil du gouffre, on se sent tout drôle… L’angoisse est là, face au vide et à la mort. Mais on est également reconnaissant. Reconnaissant pour un artiste qui nous fait comprendre, en montrant avec humour et lucidité l’incertitude de toute chose, en quoi la vie est précieuse.

Claude Monnier

Suivez toute l’actualité de STARFIX

STARFIX est une marque déposée par STARFIX PRODUCTIONS

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :