Le Dernier Rivage

Par FAL : Après Panique année zéro, sorti avant l’été, les éditions Rimini publient aujourd’hui une autre variation « post-apo », Le Dernier Rivage (On the Beach), de l’éclectique Stanley Kramer, réalisateur de Devine qui vient dîner, Jugement à Nuremberg, Un monde fou, fou, fou, fou et de bien d’autres choses encore.

L’originalité de ce post-apo, c’est que c’est aussi un pré-apo, dans la mesure où la fin du monde s’y déroule par étapes. Au moment où commence cette histoire, les États-Unis ne sont déjà plus qu’un souvenir, une explosion de type atomique – dont on ne connaîtra jamais vraiment la cause – ayant entraîné la mort de tous les Américains, sans avoir pour autant détruit ni même simplement abîmé les constructions humaines, qu’il s’agisse d’immeubles, de routes ou de ponts. En Australie, il ne s’est rien passé et la vie poursuit paisiblement son cours, mais on ne se fait guère d’illusions (cette résignation expliquant peut-être pourquoi nous n’assisterons à aucune scène de panique) ; il ne s’est encore rien passé, mais les experts sont formels : dans cinq, six mois tout au plus, les radiations seront là, aussi fatales pour les Australiens qu’elles l’ont été pour les Américains. L’apocalypse est si proche et si inéluctable que l’on ne prendra d’ailleurs même pas la peine de nous la montrer sur l’écran, mais reste à savoir comment les individus choisiront d’occuper les quelques semaines qui leur restent.

Faut-il préciser que plane d’un bout à l’autre sur ce film sorti en 1959 l’ombre de la Guerre froide ? Guerre a priori heureusement paradoxale puisque, comme le souligne un scientifique interprété par Fred Astaire, elle se joue, de part et d’autre, autour d’une arme dont on entend bien ne jamais se servir. D’un instrument de dissuasion donc, mais – et ce thème allait être repris par Kubrick dans Docteur Folamour cinq ans plus tard, et dans les années quatre-vingt dans WarGames par John Badham – si par aventure quelque accident se produit, il est absolument impossible de faire machine arrière. Qui marche au bord du précipice peut toujours faire un faux pas définitif ; qui flirte avec la folie risque fort de devenir réellement fou. Cela s’appelle l’absurde, et plusieurs séquences de ce Dernier Rivage ne sont pas sans rappeler En attendant Godot ou Fin de partie de Beckett.

Mais, même si depuis quelque temps la question du péril nucléaire revient au galop, on aurait tort de ne voir dans ce film qu’une métaphore de la Guerre froide. Ce sursis de cinq ou six mois accordé aux Australiens et à l’équipage d’un sous-marin américain (commandé par Gregory Peck) en mission en Océanie, c’est tout simplement, avec une concentration du temps qui renvoie au théâtre classique, la métaphore de l’existence humaine. Avec donc deux questions : qu’avez-vous fait de votre vie ? et, surtout, interrogation stoïcienne par excellence – même si elle apparaît ici bien dérisoire quand elle est aboyée par un prêtre hystérique –, qu’allez-vous faire du temps qui vous reste ? Même au dernier moment, il n’est pas trop tard pour donner un sens à sa vie. Certains vont se suicider par peur de la mort, et n’auront pas forcément tort (pensons ici à ceux qui se sont jetés du haut des Tours du 11 Septembre pour ne pas être dévorés par les flammes). Ava Gardner n’échappera pas plus que les autres à la mort, mais elle aura eu le temps de vivre (avec Gregory Peck) un amour qui lui redonne sa dignité… et sa beauté : l’ivrognesse aux traits un peu lourds que nous découvrons au départ sera redevenue dans le dernier plan l’Ava radieuse que nous aimons.

So what ? Tout cela ne débouche pas pour autant sur un happy end, dira-t-on. Non, mais le happy end est à trouver par-delà le film. Dans la remarquable analyse proposée dans un bonus par Vincent Nicolet, nous apprenons que Kennedy était à deux doigts d’appuyer sur le bouton lors de la crise de Cuba, et que, s’il ne l’a pas fait, c’est très probablement parce qu’il avait vu Le Dernier Rivage, et aussi lu le roman de Nevil Shute qui a inspiré le film. Où il est prouvé que l’art reste la seule véritable force de dissuasion.

Frédéric Albert Lévy 

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