
Par Claude Monnier : Un jour, grâce aux « progrès » dans les trucages numériques, des techniciens peu scrupuleux pourront créer un film x avec Marilyn Monroe et le faire circuler « sous le manteau ». Le cinéaste Andrew Dominik n’a pas attendu ce jour. Et plutôt que des images de synthèse, il a choisi une actrice de chair et d’os, investie corps et âme, Ana de Armas. De fait, si vous voulez voir Marilyn prise par derrière par Darryl Zanuck ou Marilyn faisant une fellation en temps réel à JFK, ce film vous le montrera… dans les limites bien sûr que permet une diffusion sur Netflix.
Mais en réalité, tout est dans le « si vous voulez voir ». Dominik, à l’évidence, a voulu piéger le spectateur masculin et le mettre face à ses propres contradictions : si ce mâle spectateur, en s’installant devant Blonde, sait à l’avance qu’il va voir une femme fragile et malheureuse, chose peu émoustillante a priori, il s’attend aussi à des scènes sexy, étant donné que Marilyn et son double, Ana de Armas, sont des actrices à forte charge érotique. Mais il se trouve que les scènes de sexe susmentionnées sont montrées pour ce qu’elles sont : des moments glauques où Marilyn sert de poupée gonflable à deux mâles vulgaires. Clairement, Blonde est un film de l’ère #metoo, qui dénonce le sexisme honteux des hommes de « l’âge d’or », ceux-ci refusant de voir la femme sensible et cultivée qu’était Norma Jean Baker. Et si Zanuck est accusé, Harvey Weinstein, du fond de sa cellule, doit également se sentir visé.

Cette dénonciation est-elle anachronique ? Oui et non. Oui, car le film est une relecture, avec nos yeux d’aujourd’hui, de l’exploitation des femmes dans les années cinquante. Du reste, on peut parfois trouver cette relecture un peu trop « orientée » : Marilyn était certes une femme intérieurement fragile, de par les fêlures de son enfance, mais ce n’était pas un agneau sacrificiel jeté de force sur l’autel des fantasmes masculins. C’était surtout une comédienne originale, inventive, dynamique, un génie comique et scénique. Son corps, sa voix, étaient ses instruments et elle en jouait en virtuose. A bien des égards, c’était une femme ambitieuse et déterminée. Par ailleurs, il n’est pas prouvé du tout que Zanuck ait abusé de Marilyn avant de la promouvoir, même si, on s’en doute, ce genre de pratique existait.
D’un autre côté, non, le film n’est pas si anachronique que cela, car en effet l’arrière-boutique de la vitrine hollywoodienne, comme nous l’ont montré des auteurs comme James Ellroy ou Kenneth Anger, était effectivement glauque. Le film reflète donc une certaine réalité américaine et cette réalité est en effet plus proche d’un film de David Lynch que d’un film de Capra. La question est de savoir si l’on doit montrer cela, si l’art ne doit pas nous élever plutôt que de nous mettre les yeux dans la boue. On pourrait répondre qu’il doit faire les deux, simultanément, comme Hugo le fait dans Les Misérables. En ce sens, Dominik réussit son pari dément car, tout en condamnant les hommes, il parvient à nous émouvoir par la compassion sincère qu’il éprouve pour sa Fantine moderne. Le monde présenté est glauque mais l’âme de cette femme est sublime. Et il est difficile de ne pas pleurer quand elle monte au ciel…

Qu’on aime ou pas cette vision de Marilyn en Laura Palmer lynchienne (disons-le, Blonde est un remake à peine déguisé de Twin Peaks Fire Walk with Me, ce titre étant ici à prendre au sens propre, dès l’hallucinante séquence d’ouverture !), le film de Dominik reste l’événement cinématographique de cette rentrée, même si, hélas, c’est sur un petit écran. Evénement car Dominik semble montrer ici ce que sera le cinéma du futur : une plongée hyperréaliste, au sens artistique, post-moderne du terme, une immersion presque tridimensionnelle dans le passé, à partir des images de l’époque étudiée, de leur texture (c’est pourquoi le film reprend les différents formats et émulsions des années cinquante). Comme dans Blonde, ce cinéma du futur immersif se fera traversée du miroir, passant du côté caché, occulte, devenant ainsi une relecture totale de toutes les images mensongères de la réalité emmagasinées par le vieil Hollywood.
A bien des égards, par son côté « fouille-merde », ce cinéma du futur sera fascinant… et effrayant.
Claude Monnier
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